Notre société a un cholestérol élevé et un moral bas Dernière mise à jour : 08 juin, 2017
Dans notre société, la souffrance est encore un symptôme gardé secret. Nous prenons des médicaments pour la douleur de la vie cachés, nous traitons notre cholestérol élevé et notre moral au plus bas quand on nous demande “comment va le moral”, comme si la dépression n’était qu’un simple rhume ou une infection à soigner avec des antibiotiques.
Les médecins traitants disent qu’ils ne s’en sortent pas. Qu’ils reçoivent quotidiennement des dizaines de patients présentant des signes clairs de dépression ou de troubles de l’anxiété . C’est comme si la société était une pupille qui se dilate en entrant dans une pièce sombre, là où l’obscurité nous paralyse tout d’un coup.
“Les oiseaux de la tristesse peuvent voler sur notre tête, mais ils ne peuvent pas nicher dans nos cheveux”
-Proverbe chinois-
La souffrance se colle au corps et à la tête, elle nous fait mal au dos, aux os, à l’âme, elle nous brûle l’estomac et nous serre la poitrine. Les draps nous retiennent dans leur abri tiède, comme les tentacules d’un poulpe nous invitant à rester comme ça, loin du monde, de la lumière, des conversations et du bruit de la vie.
Comme le prévoit l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), ces 20 prochaines années, la dépression sera le principal problème de santé de la population occidentale , et pour freiner cet impact, nous avons non seulement besoin de mesures, d’outils ou de professionnel-le-s bien formé-e-s. Nous avons besoin de prise de conscience et de sensibilité.
Il faut rappeler que nous sommes tou-te-s enclin-e-s à présenter à un moment un trouble psychologique. Nous ne pouvons pas banaliser la souffrance ; il est nécessaire de la comprendre, de la gérer et surtout de prévenir les maladies comme la dépression.
La dépression comme stigmate et échec personnel
Marcos a 49 ans et est infirmier auxiliaire. Il y a deux jours, on a diagnostiqué chez lui un symptôme anxieux-dépressif. Avant de prendre rendez-vous chez un spécialiste, il avait déjà deviné l’ombre de cette dépression, peut-être parce qu’il reconnaissait les symptômes comme des souvenirs de son enfance, quand sa mère affrontait des périodes terribles où la mauvaise humeur et l’isolement dans sa chambre. Une période qui a marqué une grande partie de son enfance.
Maintenant, c’est à lui que ça arrive, et même si on lui a donné un arrêt de travail, Marcos ne veut pas s’exécuter. Il a peur de devoir raconter à ses collègues (médecins et infirmières) ce qui lui arrive, parce qu’il a honte, parce que pour lui, la dépression est comme un échec personnel, une faiblesse dont il a hérité. En effet, il ne lui passe par la tête que des pensées ruminantes, insistantes et y persistantes associées au souvenir de sa mère. Une femme qui n’est jamais allée consulter un médecin et qui a passé une grande partie de sa vie soumise à de vertigineuses montagnes russes émotionnelles de montées et de descentes.
Marcos, par contre, est allé voir le psychiatre, et il se dit qu’il fait les choses bien, parce que les psychotropes l’aideront , parce que c’est simplement une maladie de plus à traiter, comme c’est déjà le cas de son hypertension , son cholestérol ou son hyperthyroïdie. Pourtant, Marco se trompe, parce que les médicaments pour la douleur de la vie soulagent, mais ne suffisent pas, parce que la dépression, tout comme de nombreux troubles psychologiques, requièrent trois autres éléments : une psychothérapie, un plan de vie et un soutien social.
Le moral au plus bas, la souffrance au plus haut, et l’ignorance éternelle
Nous entendons souvent que la souffrance fait partie de la vie et que parfois, une expérience douloureuse nous aide à devenir plus fort-e-s, à investir dans notre croissante personnelle . Par contre, on oublie qu’il existe un autre type de souffrance qui nous atteint sans raison apparente, sans détonateur, comme un vent froid qui nous vide de notre courage, de notre envie et de notre énergie.
“Fortifier sa propre souffrance, c’est prendre le risque qu’elle vous dévore de l”intérieur”
-Frida Kahlo-
La souffrance existentielle est le grand virus de l’être humain actuel. Elle ne se voit pas, mais elle provoque des ravages. Après cela, un manuel de diagnostic met un nom sur ce qui nous arrive et nous devenons une étiquette de plus, à tel point que de nombreux professionnel-le-s de santé pêchent en excès par rapport au modèle scientifique. Iels oublient que chaque patient-e dépressif-ve est unique, avec des caractéristiques propres, une histoire propre, et que parfois, une même stratégie n’est pas concluante pour tout le monde.
D’autre part, nous rencontrons un autre problème au moment d’aborder la dépression , car dans de nombreux pays, il n’existe toujours pas de protocole adéquat. Généralement, ce sont les médecins généralistes qui la diagnostiquent et qui prescrivent des psychotropes. Si le/la patient-e ne guérit pas, iel le/la redirige vers la psychiatrie. Tout cela nous démontre une fois de plus que les problèmes de santé mentale ne sont pas suffisamment reconnus, bien que l’évidence soit là : car 1 personne sur 6 souffrira de dépression à un moment de sa vie.
De cette manière, au traitement parfois défaillant du système médical de ce type de maladie, s’ajoute le stigmate social dont on a parlé précédemment. En effet, il y a un fait curieux que l’on nous explique dans l’article de la revue Psychology Today et qui nous invite forcément à une profonde réflexion.
Si on explique aux habitant-e-s d’une ville précise que la dépression est provoquée “exclusivement” par des causes neurobiologiques, l’acceptation sera plus grande. Plus que cela, cela fera augmenter le nombre de rendez-vous chez le/la psychiatre ou chez le/la psychologue car la personne souffrant de dépression cessera de se sentir coupable de cette “supposée” faiblesse, de ce manque de courage causé par une perte totale d’enthousiasme et d’espoir.
Malheureusement, comme nous pouvons le voir, nous sommes toujours confiné-e-s au premier niveau de l’ignorance, et ces maladies à proprement parler sont encore synonymes de folie , de faiblesse ou d’un défaut à dissimuler. Il est temps de normaliser, de comprendre et surtout de réfléchir sur ces autres maux qui ne nécessitent pas de plâtre, de points de suture ou une perfusion toutes les 6 heures.
Arrêtons de sous-estimer la souffrance et apprenons à la comprendre, à être des agents actif et surtout proches.