Us: du rire à l'horreur, sans oublier la critique
Rédigé et vérifié par critique de cinéma Leah Padalino
Us est la dernière perversion de Jordan Peele. Nous n’employons pas le mot “perversion” dans son sens strict, mais dans son sens critique, celui de rompre l’ordre établi.
Terreur et comédie sont entremêlées, elles sont liées pour créer un film qui est parfois absurde, mais qui fait également preuve d’une grande ingéniosité. C’est un massacre quasiment carnavalesque et satirique qui se convertit en critique du capitalisme et par conséquent, en critique du monde que nous connaissons.
La force des images, le recours au doppelgänger, à l’humour dans des moments critiques et l’usage de la métaphore reposent sur une critique politique qui nous est dans un premier temps imperceptible. Si dans son premier film Get out, Jordan Peele a adopté la critique du racisme dans la société américaine, dans Us, il adopte une toute autre approche.
Synopsis
Une famille nord-américaine, dirigée par une mère souffrant d’un profond traumatisme du passé, sera confrontée à un succès très étrange. L’action se déroule pendant une nuit. Les personnages découvriront une famille étrange aux portes de leur domicile de vacances. Ces personnages seront un reflet physique d’eux-mêmes. Cependant, ils ne viennent pas avec un désir de paix.
Le titre de la version originale, Us (“Nous”, en français), est également un jeu de mots qui fait référence aux US (United States). Cela est matérialisé dans un moment clé du film au cours duquel l’un des doubles protagonistes affirme “We are Americans” (“nous sommes américains”). Et s’ils sont américains, cela signifie qu’ils ont la même nationalité que les protagonistes de la famille de base, mais ils sont le prix à payer pour “le rêve américain“.
Us : le sujet du double
Le sujet du double, ou doppelgänger, est l’une des ressources les plus explorées du monde artistique, spécialement en littérature. C’est une question très liée à la question de la dualité, de l’obscur et du malin. Avec le temps, l’idée du double a acquis différentes connotations. On ne découvre pas la même approche dans le double de Dostoievsky et dans le double du Docteur Jekyll et Mr.Hyde de Stevenson.
Le double peut aussi se manifester de différentes manières, plus ou moins explicites. Il peut être représenté au travers de miroirs, de reflets, d’ombres ou par le biais d’un jumeau maléfique. Si nous pensons au personnage mythologique de Narcisse, nous nos rendrons compte qu’il s’agissait de l’une des premières manifestations de l’approche avec l’usage du reflet.
Technique employée
Joran Peele se nourrit de cette tradition mais il ne la réinvente pas, il l’applique au présent. La première piste que nous avons au sujet de la présence du double protagoniste se trouve dans une salle de miroirs. C’est un lieu trompeur qui nous fait perdre le fil de la réalité mais suppose également une part de vérité. Là-bas, au milieu des miroirs, une petite fille se retrouve face à son double, mais pas face à son reflet en tant que tel. Cette fillette est exactement identique à elle.
Est-ce un double maléfique ? C’est ce que Peele prétendra nous faire comprendre au cours de son histoire. Les pistes sont nombreuses et elles nous font voir que rien ne ressemble à ce que l’on imagine et que dans Us, rien n’est l’objet du hasard. La dualité sera présente pendant la totalité du film. On découvrira un monde “véritable” face à une copie ou à une parodie de cette vérité.
En plus d’un usage ingénieux de la tradition et de la question du double, le film emploie d’autres métaphores très intelligemment. Finalement, cela nous conduit à une sorte de William Wilson contemporain dans lequel nous finissons par nous poignarder nous-même.
Un jeu de métaphores
Référence biblique
Que signifie ce message qui se répète encore et encore : “Jérémie 11:11” ? Comme nous pouvions nous y attendre, il s’agit d’une référence directe à la Bible qui dit “Voici, je fais venir sur eux un mal dont ils ne pourront pas sortir, et ils crieront à moi, et je ne les écouterai pas”.
Cette phrase explique simplement que dans ce film, il n’y a aucun juge qui puisse juger l’Homme. Il n’y a que des hommes qui ont joué à être des dieux. Nous sommes face à une vérité terrible et à une forme de persécution qui laisse peu de place à l’espoir. La citation s’insère comme une sorte de synopsis. C’est comme une vérité cachée que nous ne découvrirons qu’à la fin.
Référence cinématographique
Dans Us, il y a des scènes de terreurs qui peuvent faire penser à Alice au pays des Merveilles. Mais au lieu de tomber dans un trou ou de traverser un miroir (une fois encore), nous découvrons une terrible vérité. L’apparition des lapins dans le film a une signification bien plus forte. C’est le chemin vers le monde sous-terrain et fantastique qu’Alice avait visité et qui, dans Us, est une sorte de parodie de notre monde.
Référence sociétale
D’autre part, nous pouvons trouver des allusions au passé récent. Dans les années 80, une campagne fut menée. Son nom était Hands Across America, et son but était de former une chaîne humaine et de récolter de l’argent pour les plus démunis. La campagne fut un véritable échec et la société préféra rester collée à son poste de télévision. Cet événement est matérialisé dans le film. Mais ici, l’acte ne sera pas quelque chose de pacifique et sans importance ; ce sera un véritable bain de sang.
Us : entre la critique socio-politique, la satire et la terreur
Us est un film basé sur les principes du film d’horreur. Il utilise également le traditionnel doppelgänger pour finalement mener une critique aiguë du capitalisme. Le rythme agile et habile de Peele permet au film de parfois s’éloigner du genre sur lequel il repose.
Peele se convertit en véritable chef d’orchestre capable de faire sonner le tambour dans un moment intense et dramatique, de faire régner le silence dans un moment critique et fracassant. Au milieu de l’horreur, il trouve de la place pour l’humour. Par le biais des blagues, Us réveille en nous l’horreur, nous donne un nouveau souffle et soulage notre angoisse. Le film s’adresse donc à la fois aux amoureux des films d’horreur et à ceux qui sont plus apeurés.
Peu de films me font peur et je dois reconnaître que le film Us a réussi à me faire trembler. Et dès lors que j’atteignais cette sensation de peur, le rire l’interrompait, tout en cachant à la fois la charge politique. En fin de compte, la critique est la clé de Us.
Critique du racisme
Peele critique à nouveau le racisme. Il attribue les rôles à des acteurs noirs ce qui, loin d’être le résultat du hasard, se convertit en véritable rébellion.
Alors que le cinéma emploie systématiquement l’image des hommes blancs, Peele revendique l’image de ceux qui, pendant des années, ont été laissés de côté. Ils les oppose à une famille blanche aisée pour nous montrer qu’encore aujourd’hui, il existe de nombreuses inégalités. Il mentionne la fascination envers les blancs, l’admiration innocente qui cache un passé historique associé au racisme.
Critique du capitalisme
Us n’en reste pas là ; cela reviendrait à suivre les traces de Get out. Peele était décidé à raconter quelque chose de plus. En fait, le monde capitaliste s’intéressera peu à vos origines dans la mesure où vous avez de l’argent dans les poches. Si vous pouvez payer des loisirs et dépenser de l’argent dans des biens matériels, vous avez votre place. Peele réalise une critique du matérialisme, de notre ère. Il met des mots sur l’absurdité de nos actions quotidiennes.
Us offre une vision caricaturale de la réalité, du capitalisme et de notre hypocrisie vis-à-vis des problèmes d’autrui. C’est un film qui est capable de maintenir le suspens et de nous faire rire même au moment le plus terrible.
Il s’agit sans doute de l’une des grandes propositions de l’année 2019. C’est une véritable leçon de comédie en plein milieu d’une apocalypse dans laquelle nous pouvons, d’une certaine manière, voir notre reflet.
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