Ne dis rien, un portrait de la violence de genre
Rédigé et vérifié par le psychologue Sergio De Dios González
Un sujet aussi difficile, aussi désagréable et à la fois, aussi commun, n’est pas facile à traiter. En 2018, la violence de genre concerne encore malheureusement de nombreuses personnes, ; les victimes sont dépouillées de toute qualité de vie, de toute possibilité de vivre pleinement. Icíar Bollaín tente de refléter, de la manière la plus naturelle possible, les séquelles, les conséquences et la toile de fond de ce type de violence dans le film Ne dis rien (2003).
Bollaín se caractérise par un cinéma qui tente d’être un fidèle reflet de la réalité, un cinéma naturel, dont les personnages sont tirés de notre réalité la plus quotidienne ; depuis le langage jusqu’à la garde-robe, en passant par les gestes et les scénarios…tout ce qui apparaît dans son cinéma est chargé d’un réalisme intense.
La productrice, en plus de revendiquer à une infinité d’occasions à quel point est nécessaire la présence des femmes derrière les caméras, a aussi exposé que, pour elle, le cinéma est une voie vers le changement, une porte qui s’ouvre face à nous pour tenter d’améliorer ce qui va mal dans la société.
Ne dis rien raconte l’histoire de Pilar, une femme qui fuit chez sa soeur avec son fils car elle n’en peut plus de la situation qu’elle vit avec son mari, Antonio, qui la maltraite aussi bien sur le plan physique que sur le plan psychologique.
Pilar décrochera alors un poste de caissière au musée de l’Eglise, qui abrite L’Enterrement du comte Orgaz. Là, elle fera la connaissance de certaines de ses collègues de travail et commencera à s’intéresser à l’art. Parallèlement, Antonio assistera à des séances qui l’aideront à contrôler sa colère, et il tentera de reconquérir sa femme.
Ce qui est intéressant dans ce film, c’est la façon dont le problème est abordé, le naturel avec lequel est traité chaque personnage et les divers points de vue qui nous sont présentés. Il est très facile de juger la victime lorsque l’on ne connaît pas les circonstances qui l’entourent, il est très facile de dire “quitte-le ou éloigne-toi de lui car il ne te convient pas”. Cependant, cela ne semble plus si facile lorsque cette maltraitance a laissé la victime dans un état de confusion, de perte de son identité et de son estime d’elle-même.
Ne dis rien nous permet de réfléchir au sujet de la violence de genre, du traitement que l’on fait de ce sujet dans la société, de la situation de la victime, mais aussi de celle de la personne maltraitante. Icíar Bollaín nous propose ce drame qui tente de se positionner comme une prise de conscience, comme un pas vers le changement, vers une société meilleure et plus égalitaire.
Genre et société
La violence de genre n’a pas besoin d’être physique pour exister, ni exclusivement liée au domaine domestique. La violence de genre, comme son nom l’indique, est exercée sur une autre personne pour des questions de genre ; autrement dit, cela laisse entrevoir la “supériorité” d’un genre sur un autre. Généralement, nous associons à la violence de genre la violence contre les femmes, mais nous ne devons pas non plus exclure les attaques homophobes ou transphobes, profondément liées à cette supposée “supériorité”.
La violence, autre que physique, peut aussi être psychologique, et elle sème chez la victime une forte sensation d’insécurité, de peur et de manque d’estime de soi. De plus, il résulte bien plus difficile d’en sortir si la personne qui exerce cette violence est notre partenaire ou une personne en qui nous avons confiance, à l’instar de ce qui arrive à Pilar dans le film.
Le système patriarcal a fait que la femme est vue comme le “sexe faible”, définition qui, aujourd’hui, est encore acceptée socialement.
Ce système perdure aujourd’hui, et pour s’en rendre compte, il suffit de jeter un oeil aux définitions qui sont encore données aujourd’hui de l’homme et de la femme. En effet, le terme “femme” a des connotations péjoratives, contrairement au terme “homme”. Cette idée du masculin qui représente la force, la virilité et le courage a mené notre société à s’édifier en accord avec ces affirmations, sans s’être questionnée à aucun moment sur leur validité. Dans le film, la mère de Pilar, après avoir vu fuir sa fille du domicile conjugal, lui dit qu’une femme n’est rien sans un homme, qu’elle doit retourner avec son mari parce que c’est son devoir ; voilà un bel exemple de l’ancrage du système patriarcal dans tous – ou presque – les esprits.
D’autre part, les hommes qui vont en thérapie avec Antonio ne se questionnent pas non plus sur la gravité de leurs actes ; ce sont eux qui travaillent, eux qui ramènent l’argent à la maison et, par conséquent, ce sont leurs femmes qui doivent s’occuper des tâches ménagères, qui doivent obéir et toujours accepter leurs conditions. Ces hommes qui sont reflétés dans Ne dis rien sont le fruit d’une suite de générations qui ont été élevées dans le machisme le plus intense ; chez eux, c’étaient leurs mères et leurs soeurs qui faisaient tout ce que l’homme ordonnait. Elles étaient chargées du foyer et de la famille.
Ne dis rien, l’évolution de la femme
Avec le temps, les femmes ont réussi à se faire une place dans le monde du travail et ainsi, à atteindre (en partie) leur indépendance. De fait, elles ont également obtenu le partage des tâches, mais il résulte malgré tout difficile de changer la mentalité de toute une série de générations. Pilar a vu au sein de son propre foyer comme sa mère était victime de ce système, comme elle faisait tout ce qu’elle était supposée faire pour être “une femme bien” : se marier à l’église, avoir des enfants et rester à la maison pour s’occuper d’eux.
Sa soeur Ana, au contraire, porte un regard plus critique sur ce modèle social ; elle peut voir la souffrance et l’injustice que vit sa soeur, les erreurs de leur défunt père, et elle parvient à instaurer une relation saine et égalitaire avec son partenaire.
Le mari d’Ana représente “la nouvelle réalité masculine” ; c’est un homme qui participe aux tâches ménagères et qui traite sa femme comme son égal. Tout cela contraste avec le fort caractère conservateur de sa mère et avec Pilar, dont l’estime d’elle-même a été complètement détruite, et qui est incapable d’imaginer une vie sans Antonio.
Grâce à son travail au musée, Pilar découvre l’art, ce qui supposera pour elle un échappatoire, un apaisement et un espoir. Elle commencera à avoir envie de progresser dans son travail et, enfin, à rêver de nouveau ainsi qu’à aspirer à de nouvelles choses.
Au musée également, Pilar fera la connaissance de ses collègues de travail, des femmes très différentes, aux rêves divers, mais toutes indépendantes. Ces femmes ressemblent davantage à Ana ; certaines d’entre elles ont des relations plus ou moins stables, d’autres chattent avec des hommes sur Internet…mais toutes vivent leur vie, sans dépendre d’aucune façon d’un homme.
Icíar Bollaín dessine cette nouvelle réalité de femmes qui s’entremêle avec un passé patriarcal encore très enraciné. Chaque personnage représente une réalité. Le groupe de thérapie des hommes suppose ce portrait du machisme qui perdure aujourd’hui encore, empêchant les hommes de comprendre que leurs femmes ne sont pas des objets qui leur appartiennent.
Ne dis rien est un film qui ne laisse rien au hasard, il aborde toutes les facettes de la violence domestique et d’une société où nous avons hérité d’un machisme institutionnalisé. Il n’oublie pas non plus la victime silencieuse qu’est Juan, le fils de Pilar et d’Antonio, ni les séquelles qu’ont laissées chez Pilar toutes ces années de maltraitance.
D’un autre côté, ce film nous montre aussi une faille emplie d’espoir ; il nous montre que quelque chose est en train de changer dans le monde, que maintenant, les femmes acquièrent des rôles différents, que la masculinité peut prendre bien de formes, que les hommes pleurent eux aussi, et surtout, ce film nous permet de réfléchir autour d’un sujet qui, malheureusement, continue à détruire des vies.
“Que rien ne nous définisse. Que rien ne nous assujettisse. Que la liberté soit notre propre substance.”
-Simone de Beauvoir-
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