La douleur des oublié-e-s dans la santé mentale

La douleur des oublié-e-s dans la santé mentale

Dernière mise à jour : 12 mai, 2017

La douleur des oublié-e-s ou des “sans nom”. De celleux qui ont été rebaptisé-e-s d’une étiquette toute faite. La douleur de celleux qui sont marqué-e-s au fer rouge par un diagnostic de santé mentale qui les condamne à une existence pleine d’incompréhension. La douleur de celleux qui ont été identifié-e-s comme des personnes dangereuses, bizarres, excentriques, nuisibles ou incomprises par les gens qui n’ont même pas pris la peine de les connaître.

Ce sont celleux que l’on montre du doigt dans la rue. Ce sont les fous/folles du village, la voisine excentrique de votre palier, le monsieur bizarre du café. Ce ne sont pas des personnes, ce sont des accumulations de disqualifications, souvent perpétuées au fil des années, qui les ont déshumanisées aux yeux des autres. Ce sont des diagnostics vides, ce sont des personnes sans identité.

Peut-être que vous êtes tellement habitué-e à entendre ce genre de qualificatifs que vous n’avez pas pensé à la manière dont se sentait celui/celle qui les recevait. Peut-être même que vous pensez que celui/celle les reçoit rit car ça lui paraît aussi comique qu’à vous. Mais sachez que son rire est jaune car iel n’a pas la force de se faire connaître auprès de celleux qui l’ont jugé-e d’un simple coup d’œil et qui ont considéré que puisqu’iel était différent-e, iels pouvaient le/la disqualifier. Comment vous sentiriez-vous si vous receviez ces insultes ou ces qualificatifs si peu empathiques ?

“Il ne convient pas d’étiqueter les choses comme blanches ou noires, mais de faire un effort pour les percevoir comme blanches et noires en même temps. Ou comme grises, rouges, bleues, jaunes… Avoir des traits bons ou mauvais ne signifie pas être une bonne ou une mauvaise personne. Quiconque a tendance à étiqueter les personnes qu’il connaît a sûrement la manie de s’évaluer en termes absolutistes.”

-Albert Ellis-

 

Espoirs de papier

Tout cela arrive quand l’on pense que dans le mal être se trouve la réponse du diagnostic, une raison de se sentir aussi mal et donc la possibilité de trouver un traitement et de résoudre les problèmes. Mais dans la plupart des cas, cette étiquette, cette maudite étiquette qui associe l’état de la personne à sa santé mentale est plus une charge qu’une solution.

C’est une charge car aux yeux de la société, ce sont des personnes dangereuses, agressives, incontrôlables et peu loyales. Il n’y a plus de travail pour elles, il n’y a plus d’espoir d’une vie meilleure car l’étiquette les a condamnées à l’exil, au statut des différents, des oubliés.

Il n’y a plus rien, seulement la douleur des sans nom, de celleux qui ont vu comment leurs rêves, étiquetés, restaient à l’état d’espoirs de papier mouillé. Et pourtant, la société demande de les réintégrer. Mais comment ? Si on les juge et que la société ne leur offre pas l’opportunité d’apprendre tout ce qu’iels valent et tout ce qu’iels peuvent faire… comment ?

“C’est pathétique de ne pas pouvoir vivre avec les choses que nous ne comprenons pas. D’avoir besoin que tout soit étiqueté, expliqué et déconstruit. Alors que rien n’est explicable.”

-Chuck Palahniuk-

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Traitements non adaptés

Mais l’enfer des oublié-e-s ne s’arrête pas là. Iels se sentent aussi marginalisé-e-s dans le système de santé. Puisqu’il existe des traitements empiriquement validés pour les différentes pathologies, iels ont à peine accès à elleux-mêmes et tous les espoirs se concentrent sur ces fameuses pilules.

En Espagne, selon les données de l’étude de l’ESEMed, pour un trouble aussi connu et si répandu que la dépression, 62% des gens n’ont pas eu accès au traitement psychologique adapté. Au lieu de cela, on leur a donné un traitement dans les services de psychiatrie ou des médicaments d’attention primaire. Le traitement approprié pour la dépression, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, comporte un traitement pharmacologique et un traitement psychologique.

De plus, lorsque nous nous plaignons des coupes budgétaires dans la santé, nous oublions systématiquement les oublié-e-s de la santé mentale. Car nous pensons que c’est quelque chose qui nous est étranger, que c’est pour les autres, bizarres et différent-e-s. Mais ce n’est pas vrai. Une personne sur 5, en Espagne, développe un trouble mental pendant sa vie.

De plus, le nombre de suicides en Espagne est deux fois plus élevé que le nombre de mort-e-s dans les accidents de la route. D’autre part, le nombre d’antidépresseurs consommés a été multiplié par quatre. Mais bizarrement, cela n’a pas fait baissé le chiffre des suicides avec les années, qui irait plutôt en augmentant.

Cela signifie-t-il que les psychotropes ne servent à rien ? Non, les médicaments peuvent servir pour aider, mais seuls, ils ne sont rien d’autre que de des rustines. Pas des solutions. Dans les dépressions légères et modérées, le traitement psychologique a de meilleurs résultats et un plus gros impact dans le temps que les médicaments. C’est dans les dépressions les plus graves que les patient-e-s ressentent les effets positifs des traitements psychologiques et pharmacologiques.

Les études scientifiques selon les publications récentes indiquent que le traitement psychologique devrait être en première ligne pour traiter les problèmes d’anxiété, bien avant l’usage de médicaments. Mais en Espagne, à cause de la rareté des psychologues clinicien-ne-s dans les hôpitaux publics, on a rarement accès à ce traitement, surtout si l’on sait qu’il y a, en Espagne, 4,3 psychologues pour 100.000 habitants, ce qui est quatre fois moins que la moyenne européenne.

La douleur de la famille qui se sent jugée et incomprise

Mais lorsqu’on parle des oublié-e-s, il faut aussi penser à leurs proches, qui sont à leurs côtés et ne les jugent pas, contrairement aux autres. Ces personnes qui luttent jour après jour pour que le monde cesse d’être un lieu hostile pour elleux. N’oubliez pas que derrière chaque malade, se cache la douleur d’une famille qui se sent souvent jugée et incomprise.

Car beaucoup de celleux qui jugent et étiquettent, comme des classificateur-trice-s inoffensif-ve-s en apparence, se réfèrent également aux familles des malades de la santé mentale. Elles ne reçoivent pas l’aide adaptée et en plus, sont jugées.

Nommons donc les oublié-e-s et ne leur apportons pas plus de douleur. Informez-vous sur les différents troubles mentaux avant de proférer des idées reçues, et la plupart du temps, incorrectes, sur elleux. Apprenez avant de juger et surtout, mettez-vous à leur place : il n’y a pas d’autre solution si vous voulez vraiment les aider.

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