Bandersnatch : la dystopie, c'est nous
Rédigé et vérifié par le psychologue Sergio De Dios González
Vous pensiez que la série britannique Black Mirror vous avait déjà tout montré ? Bandersnatch a mis la barre encore plus haut. En effet, le film interactif Netflix semble rendre fous les utilisateurs de la plate-forme. Black Mirror est connu pour avoir soulevé des questions qui invitent à une réflexion sur le présent. Mais aussi les nouvelles technologies et leur impact sur nos propres vies.
Cela nous implique dans des dystopies qui pourraient être réelles dans quelques années. Cependant, avec Bandersnatch, les réalisateurs ont franchi une étape supplémentaire. En effet, ils ont brisé la barrière du spectateur telle que nous la connaissions jusqu’alors. En effet, ce film nous oblige à prendre des décisions qui vont changer le destin du personnage.
Il est vrai que, en tant que film, il n’est peut-être pas aussi attrayant qu’on pourrait s’y attendre, traînant un peu en longueur à certains moments. Cependant, ce qui ne fait aucun doute, c’est l’énorme intérêt qui s’est éveillé.
Le débat est déjà ouvert ; Black Mirror est de retour, à nouveau sous les projecteurs, et cette fois, d’une certaine manière, la série se réinvente. Après 4 saisons (composées de quelques épisodes seulement chacune), certains se sont demandés si la fraîcheur de la série allait rester intacte. Et force est de constater que, malgré touts les critiques que l’on peut faire et entendre de Bandersnatch, la réponse à cette question est oui. Black Mirror est toujours très vivant.
AVERTISSEMENT : L’article contient des spoilers.
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Qu’est-ce qu’un film interactif ?
Avant d’approfondir les questions soulevées par Bandersnatch, commençons par tenter de comprendre comment ce film fonctionne et pourquoi nous faisons référence à un film interactif. Lorsque nous parlons d’interactivité, nous sous-entendons qu’un dialogue doit avoir lieu. Et que, d’une certaine manière, le destinataire peut donner une réponse. Si nous pensons aux livres, en tant que lecteurs, notre interaction est quelque peu limitée par le format lui-même. Et il en va de même pour le cinéma.
Il est vrai que certaines œuvres littéraires ou cinématographiques entourent, d’une manière ou d’une autre, le destinataire et en font un participant. On en trouve un exemple dans certains films comme Annie Hall de Woody Allen, ou romans comme Brouillard de Miguel de Unamuno. Dans les exemples précédents, le quatrième mur est brisé, c’est-à-dire qu’il s’adresse directement au spectateur ou au lecteur.
Rayon de Julio Cortázar est un roman vraiment novateur à cet égard, dans lequel les choses vont encore plus loin. Le lecteur sera fondamental, car il décidera dans quel ordre il veut lire. Cortázar propose de suivre un ordre traditionnel, autrement dit linéaire, à partir du premier chapitre jusqu’au dernier ; ou, au contraire, de suivre un “désordre” en commençant par le chapitre 72.
Cortázar était totalement novateur lorsqu’il a proposé ce type de lecture qui, surtout dans les années 80, prendrait une nouvelle direction. Et c’est précisément dans les années 80 que Bandersnatch se déroule. Ce film prend la forme du livre dans le style de “Le livre dont vous êtes le héros”. Généralement, c’est une ambiance futuriste qui règne dans Black Mirror. Or, dans Bandersnatch, l’histoire se déroule dans le passé.
Le cinéma a également pris des mesures en faveur de l’interaction. Déjà à ses débuts, un cinéaste comme Georges Méliès a assisté à l’une de ses projections pour dialoguer avec le public. En outre, l’interaction peut également se produire spontanément, comme c’est le cas dans The Rocky Horror Picture Show. Ce dernier cas est un cas vraiment particulier et c’est le public qui, pendant des décennies, a décidé de se déguiser et d’interagir avec le film au cours des projections. Un autre exemple serait le cinéma 3D qui, bien qu’il ne provoque pas de dialogue, fasse de nous, d’une certaine manière, des participants.
Bandersnatch et la prise de décision
Bandersnatch nous présente Stefan, un jeune homme dont la mission est de développer un jeu vidéo basé sur son livre préféré, dans le style de “Le livre dont vous êtes le héros”. Nous découvrons Stefan petit à petit et c’est nous qui déterminons ce que nous verrons ensuite, ou c’est ce que propose en théorie le film.
En théorie, car en réalité, le film a suffisamment de limites et, parfois, prend des décisions pour nous. Et c’est là où Bandersnatch gagne et perd en même temps. Perd parce que, à certains moments, il est fastidieux de devoir revenir au point de départ. Mais gagne car il envoie un message clair et direct au spectateur.
Les décisions vont du choix du petit-déjeuner de Stefan à au fait de tuer ou non son père. C’est-à-dire qu’elles de la plus simple à la plus complexe. Le discours est nouveau car les décisions sont prises à la volée, au rythme du film, ce qui nous rappelle énormément les jeux vidéo (n’oublions pas que le jeu vidéo est le fil conducteur de l’histoire).
Certaines des tournures que prend le film ne dépendent cependant pas de nous. Cela se produit, par exemple, lorsque Stefan rencontre Colin et que ce dernier lui propose du LSD. Si nous décidons de ne pas prendre la drogue, Colin l’introduira quand même dans le verre de Stefan et regardera la caméra pour dire qu’il a pris la décision pour nous.
Nos décisions sont-elles limitées ? Ce doute est résolu à nouveau par Colin lors de l’hallucination provoquée par le LSD, où il nous dit que le gouvernement nous contrôle, que tout est manipulé de manière absolue et que, en bref, nous ne sommes que des esclaves. Malgré le découragement du discours de Colin, la vérité est qu’il s’est connecté à nous. Il nous fait douter du film et de nos propres décisions quotidiennes.
Bandersnatch : nous sommes l’avenir
Ce qui est vraiment intéressant, c’est le moment où Stefan commence à se rendre compte que quelqu’un de l’extérieur contrôle ses actions. C’est-à-dire nous, spectateurs de Netflix. A ce moment-là, la rupture avec le quatrième mur se produit. Stefan nous demande ce qui se passe, qui le contrôle. Et nous décidons, bien sûr, de la réponse à lui apporter.
Une des options de réponse pouvant apparaître est la suivante : Netflix, quelque chose de vraiment intéressant. En étant conscient, Stefan va essayer de nous désobéir. Le génie apparaît lorsqu’il dit à son psychologue que quelqu’un du futur contrôle ses actions par le biais de quelque chose appelé Netflix. C’est intéressant parce qu’on rompt avec la dystopie traditionnelle, celle dans laquelle l’avenir est terrifiant.
La dystopie est déjà là, c’est notre présent, nous avons atteint cet horrible avenir que nous pensions ne jamais atteindre. Ce jeu avec le spectateur, en plus d’être divertissant, suppose un discours et une réflexion importants. Encore une fois, Black Mirror utilise notre présent, pour que nous y réfléchissions.
En quelque sorte, cette scène (surtout lorsque vous demandez ce que Netflix est) nous rappelle beaucoup Matrix, film dans lequel la réalité est simulée par un programme, nous faisant douter du “réel”. De même, il nous renvoie à Le Brouillard susmentionné, une œuvre dans laquelle Unamuno réussit à amener le lecteur à remettre en question sa propre réalité. Après avoir vu Bandersnatch et essayé différentes fins, un nombre infini de questions s’ouvre à nous.
Bandersnatch est une expérience vraiment intéressante. Le mode de consommation a changé et Black Mirror a voulu en profiter. Avons-nous joué avec Bandersnatch ou est-ce le film lui-même qui a joué avec nous ? En même temps, il propose une nouvelle forme narrative et cinématographique, une nouvelle manière d’être spectateur.
En bref, Bandersnatch n’est pas un bijou au sens cinématographique du terme. Pour autant, il se situe quelque part entre le cinéma et les jeux vidéo. Et il permet de vivre une expérience amusante qui, si nous savons la comprendre et l’apprécier, nous laissera un sentiment étrange. Et, comme d’habitude dans Black Mirror, Bandersnatch nous invitera à la réflexion.
“Qu’est-ce que c’est Netflix ?”
-Bandersnatch-
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