L'aphantasie : l'esprit aveugle ou vivre sans images mentales
Rédigé et vérifié par Psychologue Valeria Sabater
L’aphantasie affecte 3 % de la population. Les personnes qui en souffrent ne savent pas ce qu’est l’imagination visuelle. Elles vivent dans un vide sans forme, dans un esprit aveugle où n’existent ni les images, ni les visages, ni les paysages. Ces hommes et ces femme ne savent pas ce qu’est rêver ; ils ne se sont jamais échappés mentalement dans un havre de paix pour calmer leur stress ou se perdre dans des univers parallèles où les possibilités sont infinies.
Cette condition peut nous sembler des plus étranges. Or, au-delà de son aspect particulier, on remarque surtout son côté dramatique, voire triste. Les personnes qui en souffrent ne peuvent pas se souvenir de comment était ce parent décédé ou cet être significatif qu’elles n’ont pas vu depuis longtemps. Nous pourrions malgré tout dire qu’une personne née avec cette caractéristique si particulière ne peut pas avoir cette impression de manque face à quelque chose qu’elle n’a pas connu.
Cependant, vivre dans un esprit prisonnier de l’aphantasie les place dans un coin où elles se sentent à l’écart, de façon continue. Très tôt déjà, un enfant avec cette carence psychologique sait qu’il lui arrive quelque chose car il ne sait pas ce que sont les rêves ou les cauchemars. Ils ne peuvent pas se rappeler, visuellement, des choses qu’ils ont vues ; cet après-midi au parc, ces journées à la plage n’existent pas dans leur esprit. Or, cela leur produit un sentiment d’étrangeté car ils voient que les autres peuvent le faire.
Nous sommes ici face à une réalité aussi particulière qu’intéressante, qui vaut la peine d’être approfondie.
L’aphantasie : qu’est-ce et pourquoi se produit-elle ?
Les neurologues définissent l’aphantasie comme un type de cécité mentale. Ce terme, bien évidemment, impression. Mais comment est la vie d’une personne avec cette condition ? Est-elle très limitée ? Et quelle est son origine ? Nous sommes ici face à une altération qui a commencé à être étudiée de manière plus exhaustive à partir de 2016.
Nous connaissions son existence depuis 1840, lorsque Sir Francis Galton, le célèbre psychologue, anthropologue, explorateur et généticien britannique, a décrit plusieurs cas, apportant même une analyse statistique. Déjà à cette époque, il a estimé qu’entre 2 et 3 % de la population pouvait souffrir de ce problème mental, de cette incapacité à créer des images mentales.
Nous avons dû attendre 2016 pour que la communauté scientifique s’intéresse de nouveau à l’aphantasie. C’est finalement le docteur Adam Zeman, psychologue cognitif à l’Université d’Exeter, qui a donné ce nom à cette condition. Cette même année, Blake Ross, co-créateur de Firefox, a publié un essai dans lequel il décrivait sa propre expérience avec cette nouvelle condition neurologique. Suite à son travail, l’aphantasie a commencé à devenir virale sur les réseaux sociaux et à attirer l’attention des experts.
Quelle est l’origine de l’aphantasie ?
Imaginez deux pommes, l’une de couleur verte et l’autre d’un rouge luisant. En lisant cela, 97 % d’entre nous (selon des données statistiques) visualisons presque instantanément cette image. Cependant, ces personnes qui souffrent d’aphantasie seront incapables de mettre en route ce processus neurologique. Leur esprit, en effet, ne voit pas. L’image n’existe pas dans leur univers cérébral.
Ceci pourrait être dû, selon les chercheurs, à une faille au moment de créer des patrons sur chaque chose que nous voyons. Ainsi, chaque stimulus visuel crée un impact dans notre cerveau, une trace qui donne naissance à un type de patron, une séquence, une forme. De cette façon, lorsque nous nous souvenons de quelque chose, il est commun que, presque sur le champ, ces mêmes patrons surgissent en créant des images mentales.
Les personnes atteintes d’aphantasie ne créent pas de patrons visuels. Il y a donc une faille au niveau de ce processus. Tout ce qu’elles voient ou ont vu ne génère aucune image dans leur cerveau. C’est comme souffrir d’une cécité partielle. Nos yeux intérieurs, au final, ne captent pas ce qu’il y a à l’extérieur. Ils ne peuvent donc pas le ramener à l’intérieur.
Comment sont les personnes qui souffrent de cette condition neurologique ?
La vie avec une aphantasie n’est pas limitée. La personne peut se lier à d’autres gens. Elle peut être autonome dans chaque aspect de sa vie, travailler et réussir comme n’importe qui. Malgré tout, ces gens savent qu’il leur manque quelque chose.
Le docteur Adam Zeman nous signale d’ailleurs la réaction positive de ceux qui reçoivent enfin un nom et une explication à donner à ce phénomène dont ils souffrent depuis toujours et qu’ils ne savent pas très bien comment définir.
- Ainsi, une personne souffrant d’aphantasie fait principalement face à une incapacité à se souvenir sous forme d’images. Elle ne peut pas évoquer de visages et cela lui cause généralement du mal-être
- Tandis que la majorité des gens passent une bonne partie de leur temps plongés dans leurs pensées en imaginant et en passant d’une image à une autre, ces personnes ne peuvent même pas rêver avec des images
- Celles qui souffrent le plus de cette condition sont celles qui souffrent d’aphantasie acquise. Généralement, à la suite d’un accident ou d’une lésion cérébrale, elles finissent en fait par développer ce déficit et, dans ce cas, la réalité est plus complexe
- Par ailleurs, on a pu voir que ce déficit neurologique est aussi lié à la prosopagnosie (difficulté à reconnaître des visages) et à des problèmes d’orientation
Il n’existe pas, aujourd’hui, de traitement contre l’aphantasie. S’il est vrai que vivre avec cette condition ne limite pas le quotidien des personnes qui en souffrent, il est curieux de savoir que celles qui ont été diagnostiquées affirment se sentir différentes. Elles ont conscience de manquer de quelque chose. En fin de compte, rien n’est plus réconfortant et grisant que de penser avec des images, d’imaginer…
Toutes les sources citées ont été examinées en profondeur par notre équipe pour garantir leur qualité, leur fiabilité, leur actualité et leur validité. La bibliographie de cet article a été considérée comme fiable et précise sur le plan académique ou scientifique
- Blaisdell, A. P. (2019). Mental imagery in animals: Learning, memory, and decision-making in the face of missing information. Learning & Behavior, 47(3), 193-216.
- Dos Santos, R. G., Enyart, S., Bouso, J. C., Pares, Ò., & Hallak, J. E. (2018). “Ayahuasca turned on my mind’s eye”: Enhanced visual imagery after ayahuasca intake in a man with “blind imagination”(aphantasia). Journal of Psychedelic Studies, 2(2), 74-77.
- Hasler, B. P., & Germain, A. (2009). Correlates and treatments of nightmares in adults. Sleep medicine clinics, 4(4), 507-517.
- Zeman, A., Dewar, M., & Della Sala, S. (2016). Reflections on aphantasia. Cortex, 74, 336-337.
Ce texte est fourni à des fins d'information uniquement et ne remplace pas la consultation d'un professionnel. En cas de doute, consultez votre spécialiste.