La théorie du couteau suisse: la modularité de l'esprit
Rédigé et vérifié par Psychologue Valeria Sabater
La théorie du couteau suisse est une explication controversée mais curieuse du fonctionnement de l’esprit. Selon cette approche modulaire, notre cerveau serait composé d'”applications” hautement spécialisées pour résoudre efficacement des problèmes très spécifiques. De cette façon, notre esprit constituerait tout un ensemble de zones spécifiques très semblables à un couteau polyvalent.
Il convient tout d’abord de noter que cette perspective, ainsi que le concept de modularité pour expliquer les processus perceptuels et cognitifs, est souvent critiqué par les neurosciences. Néanmoins, un petit nombre de psychologues évolutionnistes continuent de défendre cette perspective unique présentée en 1992 par l’anthropologue John Toody et la psychologue Leda Cosmides.
Cependant, cette idée a déjà émergé dans la communauté philosophique dans les années 1980. C’est Jerry A. Fodor, l’un des plus grands philosophes de l’esprit, qui, tout au long de sa vie, a exploré les mystères de la structure de la connaissance humaine. Il s’agit d’un grand expert en linguistique, logique, sémiotique, psychologie, informatique et intelligence artificielle.
De plus, nous lui devons, par exemple, les fondements de notre propre science cognitive. Et la spécialité philosophique de la psychologie. Ainsi, l’une de ses œuvres les plus significatives et les plus marquantes fut sans aucun doute The Modularity of the Mind, publiée en 1983. Cette perspective, bien qu’écartée par de nombreux experts, suscite toujours un vif intérêt. En effet, elle tente de comprendre les mystères qui entourent nos processus mentaux.
“Nous avons beaucoup à faire. Ce que notre science cognitive a fait jusqu’à présent, c’est principalement de jeter un petit rayon de lumière sur la grande obscurité qui existe concernant la compréhension de l’esprit.”
-Jerry A. Fodor-
La théorie du couteau suisse et le problème éternel de l’esprit
Dans la théorie du couteau suisse, il y a un premier aspect sur lequel nous sommes tous d’accord. Le Dr Fodor lui-même a souligné que le cerveau, en tant qu’entité physique observable, peut être étudié de mieux en mieux grâce aux progrès technologiques. Cependant, il y a un moment où l’étude de l’esprit entre dans un autre niveau. Plus abstrait et imprécis. Où la technologie perd de sa valeur.
Platon et Aristote essayèrent d’en donner une explication. Tout comme René Descartes et John Locke. Cette réflexion s’est toujours poursuivie et, dans les années 1980, à mi-chemin entre la philosophie et la psychologie, l’héritage de Noam Chomsky et du cryptomathématicien Alan Turing est devenu une façon singulière de définir et expliquer nos processus cognitifs.
Voyons les principes qui définissent la théorie du couteau suisse.
Les modules mentaux
A la fin des années 1950, le linguiste et philosophe Noam Chomsky a commencé à défendre l’une de ses théories les plus connues : la langue n’est pas un comportement appris, mais une faculté mentale fonctionnelle innée. Cette prémisse était l’un des piliers qui ont inspiré plus tard le Dr Fodor.
- Il s’est également appuyé directement sur les travaux de Turing sur ses modèles mathématiques informatiques. Peu à peu, il dessinait les bases de sa démarche, où il délimitait un modèle de l’esprit délimité par des facultés mentales séparées et spécialisées.
- Il a appelé cette théorie la psychologie des facultés, de sorte que chaque processus de notre esprit est organisé en différents modules spécialisés, comme des applications uniques d’un ordinateur. Il y a donc un nœud pour la sensation et la perception, un autre pour la volonté, un autre pour la mémoire, un autre pour le langage...
Défenseurs de la théorie du couteau suisse
Jerry A. Fodor a publié ses théories dans son livre The Modularity of the Mind (1983). Les docteurs Tooby et Cosmides ont plus tard formulé la théorie du couteau suisse en s’appuyant sur les travaux du premier. Mais où en sommes-nous aujourd’hui ? Cette approche qui comprend l’esprit comme formé d’applications spécialisées est-elle viable ?
Comme nous l’avons souligné, l’approche demeure controversée. Cependant, il y a beaucoup de figures dans le domaine scientifique qui défendent la psychologie des facultés énoncées par Fodor. Nancy Kanwisher est professeure et chercheuse au Département des sciences cérébrales et cognitives du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Elle défend une position singulière dans ce débat public.
L’une de ses conférences TED les plus connues est celle qu’elle a donnée en 2014 pour expliquer la validité de la théorie du couteau suisse. De plus, elle s’appuie également sur plusieurs études scientifiques qui défendent cette idée et qui sont publiées régulièrement dans le Journal of Neuroscience.
Le cas de la prosopagnosie
Une chose que le Dr Kanwisher a pu voir grâce à l’IRM, c’est qu’il y a de nombreuses zones du cerveau qui ne communiquent pas entre elles ; elles travaillent isolément. Cela signifie, par exemple, que les personnes atteintes de prosopagnosie peuvent voir parfaitement et, en même temps, sont incapables de reconnaître les personnes.
Elles peuvent physiquement voir leurs enfants. Mais ans bien des cas, elles ne les reconnaissent pas lorsqu’ils vont les chercher à l’école. Il existe donc de nombreuses zones spécialisées du cerveau qui fonctionnent comme des “modules”. On peut par exemple évoquer des régions aussi concrètes que celles qui traitent des couleurs. Des formes. Du mouvement. De la parole, etc.
Critique de la théorie modulaire de l’esprit
Nombreux sont ceux qui voient dans la théorie de l’esprit modulaire ou la théorie du couteau suisse une approche trop simpliste. Dans le plus pur style darwinien, où, par exemple, l’idée de sélection naturelle n’est pas exclue.
Cette perspective comprend, par exemple, que nos comportements ressemblent presque à des programmes que nous acquérons à mesure que nous avançons en tant qu’espèce. Ainsi, chaque processus, chaque fonction, se développe et se spécialise de manière autonome et séparée du reste.
Des études, comme celle publiée dans la revue PLOS Biology, soulignent le risque que l’on encourt à adopter ce type d’approche modulaire de la cognition humaine. On ne peut donc pas parler du cerveau comme d’une entité fragmentée. Il ne correspond pas à la métaphore du téléphone, celle à laquelle nous ajoutons des applications en fonction de nos besoins quotidiens. C’est bien plus complexe que cela.
S’il est vrai qu’il y a des zones qui ne communiquent pas entre elles, il n’est pas vrai que l’esprit travaille à travers différents secteurs spécialisés et séparés les uns des autres. Le cerveau est conçu pour partager l’information et travailler de manière unitaire, tous les domaines sont interconnectés et partagent l’information d’une manière constante.
Notre raisonnement, par exemple, est loin d’être modulaire, il est holistique ; nous utilisons de multiples concepts, inférences, processus, déductions…Par conséquent, le cerveau et les processus cognitifs ne peuvent être compris sous la métaphore classique d’un ordinateur. Nous sommes beaucoup plus complexes, fascinants et imprévisibles que cela.
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- Fodor, Jerry (1983) La modularidad de la mente. Madrid: Morata
- Arbib, M., 1987. Modularity and interaction of brain regions underlying visuomotor coordination. In J. L. Garfield (ed.), Modularity in Knowledge Representation and Natural-Language Understanding, Cambridge, MA: MIT Press, pp. 333–363.
- Bacáicoa Ganuza, F. (2002). La mente modular. Revista de Psicodidáctica, 13: 1-24.
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