La métaphore de Lete et Mnemosyne en neurosciences
Rédigé et vérifié par Psychologue Valeria Sabater
La vérité est que nous vivons dans un monde qui nous transmet l’idée que la mémoire est le reflet de la santé cognitive. C’est la fonction exécutive classique que nous exerçons le plus à l’école. Nous mémorisons pour établir de nouvelles informations, pour apprendre et réussir des examens, mais avec le temps… Certaines de ces informations s’estompent et s’évanouissent comme de la fumée s’échappant par la fenêtre.
On l’oublie à cause d’un principe d’efficacité cérébrale : ce qui n’est pas utilisé est éliminé et c’est aussi la santé. C’est ainsi que le subtil équilibre neurologique qui prend soin de nos ressources mentales est maintenu et optimisé. Car au-delà de ce sur quoi on insiste souvent, le cerveau n’est pas un ordinateur. C’est un organe aux capacités limitées qui a besoin d’économiser.
L’oubli nous permet de mieux vivre et cela évoque une belle légende grecque qui illustre très bien ce processus de remémoration et d’effacement.
Éliminer les détails inutiles est un principe de base de l’efficacité cognitive pour notre survie.
La métaphore de Lete et Mnemosyne : qu’est-ce que c’est ?
La mythologie grecque et aussi le livre La République de Platon racontent qu’à Hadès il y avait deux fleuves : Lete et Menemósine. Le premier le faisait oublier au buveur et le second favorisait le souvenir. Dans certaines inscriptions funéraires trouvées à partir du IVe siècle av. C., on disait que les morts buvaient à la rivière Lete pour oublier leur vie et ainsi ne pas pouvoir se souvenir de leurs existences passées lorsqu’ils se réincarnaient.
De son côté, Platon expliqua qu’en Grèce il y avait des groupes qui pratiquaient la religion des mystères. Ses initiés ont été invités à boire de la rivière Mnemosyne pour atteindre une supposée illumination. Se souvenir de chaque détail de leur vie présente et passée était perçu comme une forme de révélation. Alors qu’en réalité, une telle idée, si elle pouvait se concrétiser et était vraie, nous rendrait fous.
Le cerveau n’est pas préparé à stocker chaque information, détail, image, mot ou expérience. De plus, les êtres humains et aussi les animaux ont besoin d’oublier pour se souvenir. Quelle est la raison d’un tel paradoxe ? Nous l’analysons.
Chaque forme d’organisme est programmée pour oublier des informations sans importance. C’est ainsi que de nouveaux apprentissages s’établissent et que la survie est favorisée.
Lete, oublier de mieux se développer
Les Grecs pensaient que l’effet de la consommation d’alcool de Lete durait jusqu’à la petite enfance. Cela expliquait pourquoi les gens ne se souviennent pas de notre naissance ou de ces deux ou trois premières années de vie. Pourtant, si un enfant ne se souvient pas de ses premiers anniversaires, c’est dû à un processus aussi nécessaire que fascinant : la neurogenèse cérébrale.
Avant la naissance et pendant les premiers mois de la vie, les bébés produisent un grand nombre de neurones. Petit à petit, les premières synapses et élagages neuronaux vont apparaître. Autrement dit, les connexions synaptiques sont supprimées pour façonner un cerveau plus spécialisé et plus efficace. Dans ce processus, les souvenirs sont effacés, mais une plus grande force et agilité cognitive sont obtenues.
En neurosciences, l’oubli est un mécanisme actif qui commence à fonctionner dès le plus jeune âge.
Toute espèce qui a de la mémoire oublie
La métaphore Lete et Mnemosyne des neurosciences souligne que tout être vivant qui a de la mémoire doit oublier de survivre. Ainsi, une étude menée au Scripps Research Institute Florida, par exemple, met en lumière quelque chose d’intéressant. Si la dopamine est essentielle pour établir les souvenirs et l’apprentissage, elle est également essentielle pour favoriser l’oubli.
Cela apparaît à la fois chez l’homme et chez les mouches des fruits ( Drosophila melanogaster ). Les mammifères, les reptiles, les oiseaux, les poissons, les insectes et même les champignons montrent la fonction de l’oubli comme l’un de ses mécanismes les plus fondamentaux.
À tel point que des personnalités telles que le psychologue cognitif Oliver Hardt, de l’Université McGill à Montréal, au Canada, soulignent que tout organisme, aussi simple soit-il, doit constamment supprimer des informations. Ce n’est qu’alors qu’il pourra mieux s’adapter à son environnement.
Éliminez l’artificiel, rappelez-vous l’essentiel
Une chose que les experts en psychologie légale et en psychologie légale savent bien, c’est qu’un témoin se souviendra rarement d’un événement avec une précision absolue. Dans ces expériences, la métaphore de Lete et Mnemosyne s’accomplit. C’est-à-dire qu’il faut oublier certaines données pour mémoriser (prioriser) les autres. Ainsi, le fait que nous manquions de mémoire photographique et exacte répond à un objectif adaptatif aussi logique qu’efficace.
Pensons à la personne qui subit un vol avec voies de fait. Si vous deviez vous souvenir de la couleur de vos lacets, de la déchirure du jean de votre agresseur, du bruit que fait votre veste lorsque vous bougez ou de l’angle du soleil qui se reflète dessus, vous stockeriez des données inutiles dans votre cerveau.
Le cerveau ne veut retenir que les informations essentielles d’une expérience pour se préparer aux situations futures. Le reste est artificiel. Cela ne l’aide pas de savoir de quelle couleur étaient les cheveux du délinquant (la police le sait). Vous serez plus intéressé à établir le contexte dans lequel cet événement s’est produit afin d’être préparé.
Les personnes qui “boivent” du Mnemosyne ( hyperthymesie )
Le syndrome hyperthymétique ou syndrome hyperthymétique définit une maladie rare dans laquelle une personne est capable de se souvenir d’une bonne partie de ses expériences de vie avec des détails exceptionnels. A noter que l’incidence est très faible dans la population et qu’en 2005, l’Université de Californie a publié une étude décrivant le cas d’une femme.
On pourrait dire que les hyperthymésiques ont bu dans les eaux de la rivière Mnemosyne. Sa mémoire ne répond à aucune technique mnémotechnique, mais est automatique et spontanée. Cela peut sembler être un cadeau hors du commun, mais il n’en est rien. Ceux qui présentent cette particularité présentent certaines caractéristiques proches de l’autisme.
De plus, ces hommes et ces femmes se sentent épuisés mentalement, ce qui nuit à leurs performances cognitives. Se souvenir de données, de scènes et d’expériences de manière involontaire et constante est quelque chose qu’ils vivent avec un fardeau. Ce ne sont pas des génies ni ne font preuve d’une intelligence supérieure à la moyenne, bien au contraire.
Les personnes atteintes d’hyperthymésie passent trop de temps à penser au passé et sont incapables de contrôler les souvenirs qui leur viennent à l’esprit. Cela les empêche de se concentrer sur la réalité.
La mémoire (Mnémosyne) facilite notre apprentissage et notre adaptation à l’environnement. Grâce à elle, nous acquérons des expériences et nous mettons à jour jour après jour en termes de connaissances et de sagesse. Pourtant, l’oubli (Lete) est ce qui nous permet d’avancer en tant qu’espèce en modélisant un cerveau plus agile, plus efficace, capable de stocker des informations précieuses et d’éliminer ce qui n’est pas très utile.
Dans la balance se trouve notre succès cognitif, dans cet affrontement de forces se cache notre survie.
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