Les raisons du mal : l'expérience de la prison de Stanford
Rédigé et vérifié par le psychologue Sergio De Dios González
L’effet Lucifer : les raisons du mal est le titre du livre où Philip Zimbardo nous présente l’expérience qu’il a mise en place dans la prison de Stanford, expérience considérée comme l’une des plus significative de l’histoire de la psychologie. Ses conclusions ont changé notre façon de percevoir l’être humain et la manière dont l’environnement peut influer sur nos comportements et attitudes.
Dans cet ouvrage Zimbardo pose les questions suivantes : qu’est-ce qui pousse une bonne personne à mal agir ? Comment peut-on convaincre une personne normale à commettre un acte immoral ? Où se situe la frontière séparant le bien et le mal et qui encoure le risque de la franchir ? Avant de prendre connaissance des conclusions, voyons préalablement en quoi consistait l’expérience de la prison de Stanford.
Les origines de l’expérience de la prison de Stanford
Le professeur de l’université de Stanford, Philip Zimbardo, souhaitait réaliser une recherche sur l’être humain dans un contexte de privation de la liberté. Pour y parvenir, Zimbardo proposa de simuler le milieu carcéral dans les installations de l’université. Après avoir préparé lesdites installations, Zimbardo devait les remplir de “prisonnier-ère-s” et de “gardien-ne-s”. Ainsi, pour réaliser son expérience, Zimbardo recruta des étudiant-e-s qui, en échange d’une modique compensation financière, acceptèrent de remplir ces rôles.
Cette expérience comprenait 24 étudiant-e-s, qui furent réparti-e-s en deux groupes (prisonnier-ère-s et gardien-ne-s) de manière aléatoire. Pour renforcer le réalisme et obtenir une meilleure immersion dans ces rôles, les prisonnier-ère-s furent l’objet d’arrestations surprises (iels bénéficièrent de la collaboration de la police) et furent ensuite, dans la prison simulée de Stanford, habillé-e-s comme des prisonnier-ère-s et destitué-e-s de leurs noms en échange de numéros d’identification. Les gardien-ne-s reçurent un uniforme et des lunettes de soleil afin de renforcer leur autorité.
Le mal dans la prison de Stanford
Aux premiers stades de l’expérience de la prison de Stanford, la plupart des prisonnier-ère-s prenaient la situation comme s’il s’agissait d’un jeu et leur implication dans leur rôle était minime. Les gardien-ne-s quant à elleux, afin d’asseoir leur autorité et que les prisonnier-ère-s se comportent comme tel, commencèrent à réaliser des comptes de routine ainsi que des contrôles inopinés.
Les gardien-ne-s obligèrent les prisonnier-ère-s à se conformer à certaines règles lorsqu’iels procédaient aux décomptes, par exemple énoncer leur numéro d’identification ; et en cas de désobéissance, iels les obligeaient à faire des flexions. Ces “jeux” ou ordres, inoffensifs dans un premier temps, cédèrent la place à de véritables humiliations et violence de la part des gardien-ne-s à l’encontre des prisonniers.
Les gardien-ne-s punissaient les prisonnier-ère-s par le biais de privation de nourriture ou de repos, les enfermaient dans des placards pendant des heures, les obligeaient à se maintenir debout nu-e-s, et allèrent même jusqu’à les obliger à simuler la pratique du sexe oral entre elleux. En raisons de ces vexations, les prisonnier-ère-s oublièrent qu’iels étaient des étudiant-e-s participants à une expérience et commencèrent à penser comme de véritables prisonnier-ère-s.
L’expérience de la prison de Stanford dut être annulée le sixième jour suite aux violences générées par l’immersion complète des étudiant-e-s dans leur rôles. La question que nous nous posons maintenant est “pourquoi les gardien-ne-s parvinrent à un tel niveau de méchanceté envers les prisonnier-ère-s ?”.
Conclusions : le pouvoir de la situation
Après avoir observé l’attitude des gardien-ne-s, Zimbardo tenta d’identifier les variables amenant un groupe d’étudiant-e-s normal – c’est-à-dire sans symptôme pathologique – à agir de telle sorte. Nous ne pouvons pas avancer l’argument selon lequel les étudiant-e-s formant le groupe de gardien-ne-s étaient des individus foncièrement méchants dans la mesure où leur répartition au sein des deux groupes fut totalement aléatoire et que tou-te-s passèrent, avant la mise en oeuvre de l’expérience, un test relatif à la violence dont les résultats ne laissaient aucun doute : tou-te-s rejetaient la violence en tant que mesure comportementale.
Par conséquent le facteur devait être intrinsèque à l’expérience, Zimbardo commença à croire que l’ampleur de la situation générée au sein de la prison avait poussé ces étudiant-e-s pacifistes à mal agir.
Ceci est curieux car nous avons tendance à penser que le mal résulte de prédispositions, c’est-à-dire qu’il existe des individus mauvais et d’autres bons indépendamment du rôle et des circonstances auxquelles ils sont confrontés. En d’autres termes, nous avons tendance à considérer que la force de la prédisposition ou de la personnalité prime sur celle jouée par les circonstances ou les rôles. En ce sens, l’expérience de Zimbardo apporta la preuve contraire, révolutionnant par ses résultats et conclusions immédiates nos certitudes.
La situation, assortie à la conscience dont un individu dispose du contexte, est ce qui conduit un individu à se comporter de telle ou telle manière. Ainsi, lorsque la situation nous pousse à nous comporter de façon violente ou méchante, nous ne pourrons pas l’éviter si nous n’en sommes pas conscient-e-s.
Lors de l’expérience de la prison de Stanford, Zimbardo a créé un contexte parfait pour que les prisonnier-ère-s subissent un processus de dépersonnalisation dans le regard des gardiens. Cette dépersonnalisation est due à plusieurs facteurs, comme l’asymétrie du pouvoir entre les gardien-ne-s et les prisonnier-ère-s, l’homogénéisation du groupe des prisonnier-ère-s aux yeux des gardien-ne-s, la substitution des noms par des numéros d’identification, etc … Cet ensemble de facteurs eut pour conséquence que les gardien-ne-s en arrivèrent à considérer les prisonnier-ère-s comme tel-le-s et non comme des personnes pour lesquelles iels auraient pu avoir de l’empathie et qui en réalité – en dehors du contexte simulé par l’expérience – remplissaient également un rôle : iels étaient tou-te-s des étudiant-e-s.
La banalité du bien et du mal
La dernière conclusion que nous laisse Zimbardo dans son ouvrage est qu’il n’existe ni démons ni héros – ou du moins il en existe moins que ce que nous pensons -, le bien et le mal étant davantage le produit de circonstances que d’une personnalité déterminée ou de valeurs acquises lors de l’enfance. Ceci, finalement, est un message optimiste : presque toute personne peut mal agir, mais en même temps, n’importe quelle personne peut agir de façon héroïque.
La seule chose que nous devons faire pour éviter la première hypothèse est d’identifier les caractéristiques d’une situation ou d’un rôle pouvant nous conduire à agir de manière méchante ou cruelle. A travers son livre, Zimbardo nous offre un décalogue “anti-mal” pour agir contre les pressions inhérentes à une situation donnée.
Pour approfondir davantage le sujet, nous pouvons réfléchir sur une situation que nous connaissons tou-te-s : lorsque nous voyons un individu qui agit mal, prenons-nous en compte la situation et les pressions auxquelles ce dernier est confronté ou le définissons-nous simplement comme étant mauvais ?
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