Kitty Genovese, la fille qui cria dans la nuit et que personne n'aida

Kitty Genovese, la fille qui cria dans la nuit et que personne n'aida

Dernière mise à jour : 19 juin, 2017

Kitty Genovese avait 28 ans. En rentrant du travail, un homme s’est approché d’elle et l’a poignardée plusieurs fois dans le dos. Plus tard, il l’a agressée sexuellement et lui a volé 49 dollars. C’était la nuit du 13 mars 1964, et selon le New York Times, jusqu’à 38 voisins ont entendu les cris pendant une demi-heure… mais personne n’a rien fait.

Les caractéristiques terrifiantes des faits vont même au-delà puisque la scène offre de plus de détails qui montrent le côté le plus obscur de l’être humain. On dit qu’un homme a ouvert sa fenêtre et a essayé de faire fuir l’agresseur en lançant “Laisse cette fille en paix”. À ce moment-là, l’agresseur Winston Moseley s’est éloigné d’elle pendant quelques minutes, moment où elle a pu se lever, grièvement blessée, et entrer dans le vestibule d’un immeuble.

“Le monde n’est pas menacé par les mauvaises personnes, mais par celles qui permettent la violence.”

-Albert Einstein-

Et personne ne l’aida. Celleux qui l’ont vue ont pensé que ce n’était rien, que ce n’était pas si grave. Cependant, Moseley n’a pas tardé à la retrouver pour l’agresser à nouveau et la tuer. Des jours après, toute la société new-yorkaise a retenu sa respiration quand le New York Times a publié une série de longs articles qui décrivaient en détails et sans anesthésie cette apathie, ce silence et cette inhumanité qui, comme un être sans âme, a rongé cette ville endormie.

Ces articles ont été comme une autopsie psychologique de la société qui élude sa responsabilité, qui décide de ne pas agir, de regarder ailleurs et se réfugier dans l’intimité de ses recoins personnels en niant n’importe quel cri, n’importe quelle demande.

Le cas Kitty Genovese a changé beaucoup de doctrines, et a permis de nouvelles formulations dans le champ de la psychologie. Nous vous en parlons ici.

Kitty Genovese et le reflet de toute une société

Winston Moseley était afro-américain, machiniste de profession. Il était marié et avait 3 enfants. Quand il a été arrêté à cause d’un vol, il n’a pas tardé à reconnaître le meurtre de Kitty Genovese et de deux autres jeunes. Les psychiatres ont déterminé plus tard qu’ils souffrait de nécrophilie. Il est mort en prison à 81 ans l’année dernière, après avoir fait de violentes attaques dans les institutions pénitentiaires et psychiatriques.

L’agresseur de Kitty a fait sa peine, alors qu’elle est restée dans la pensée collective comme la fille que personne n’aida, comme la femme qui est morte face à 38 témoins qui n’ont pas été capables de réagir. C’est ainsi que l’ont expliqué les médias et cela a été relaté dans le livre “Thirty-Eight Witnesses: The Kitty Genovese Case” de AM Rosenthal, l’éditeur du New York Times à ce moment-là.

Il faut savoir que selon une étude publiée dans la revue American Psychologist de 2007, l’histoire du meurtre de Kitty Genovese a été légèrement exagérée par les médias. De fait, dans le documentaire “The Witness” (2015), on peut voir la lutte du frère de Kitty qui essaie de découvrir ce qui s’est réellement passé, concluant avec une phrase simple et désolante : personne n’a vraiment pu voir ce qui s’est passé, et ceux qui ont appelé la police ont été ignorés car personne ne pouvait expliquer clairement ce qui était en train de se passer.

L’effet Genovese ou la “Théorie de la Diffusion de la Responsabilité”

Quoi qu’il en soit, ce fait a servi aux psychologues sociaux-ales pour formuler la fameuse “Théorie de la Diffusion de la Responsabilité”. Car en réalité, si on y pense bien, peu importe si les témoins ont vu ou pas l’agression de Kitty Genovese ou s’ils ont appelé ou pas la police. Peu importe également s’ils était 12, 20 ou 38 comme l’a expliqué le New York Times. La question réside dans le fait que personne n’a répondu à ces cris, que pendant 30 minutes personne n’est descendu dans le vestibule où on agressait la jeune femme.

Les psychologues John Darley et Bibb Latané ont expliqué ce comportement avec la théorie de la “diffusion de la responsabilité”. Dans cette théorie, on montre que plus il y a d’observateur-trice-s, plus la probabilité que l’un-e d’entre eux aide est moindre. Quand quelqu’un a besoin d’aide, les observateur-trice-s pensent que quelqu’un d’autre interviendra, que quelqu’un fera quelque chose. Mais le résultat de cette pensée individuelle est qu’au final tou-te-s les observateur-trice-s s’abstiennent d’intervenir et la responsabilité est complètement estompée dans le groupe.

Cela signifie que personne n’endosse cette responsabilité. C’est quelque chose que l’on observe également dans les pétitions. Il est bien mieux de dire “Pierre, s’il te plaît, allume la lumière” plutôt que “S’il vous plaît, que quelqu’un allume la lumière”. Dans le premier cas, en nommant quelqu’un, on évite précisément que cette évaporation de la responsabilité ait lieu.

Finalement, il faut savoir que dans la diffusion de la responsabilité, concernant l’aide, d’autres facteurs modulateurs interviennent :

  • Si la personne s’identifie plus ou moins à la victime. Une plus forte identification produit une moindre diffusion de la responsabilité.
  • Si l’intervention peut impliquer un coût personnel, comme dans le cas de Kitty, les probabilités de diffusion de responsabilité augmentent aussi.
  • Si la personne pense qu’elle est en meilleure ou en pire position que le reste du groupe pour agir. Par exemple, un-e expert-e en défense personnelle se sentira plus obligé-e d’agir dans une situation de risque que quelqu’un qui ne sait pas comment se défendre. Se sentiront également obligées à agir les personnes les plus proches physiquement de la situation.
  • Si la personne pense que la situation est grave ou pas. Face à une situation évaluée comme grave, la diffusion de la responsabilité est moindre, tout comme quand si la demande d’aide se prolonge dans le temps ou si elle augmente en intensité.

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L’importance de ne pas normaliser la violence

Le triste cas de Kitty Genovese a eu un impact notable sur notre société. Il a aidé, par exemple, à créer la fameuse ligne téléphonique d’urgence 911 aux États-Unis. On lui a dédié des chansons, il a inspiré des scénarios de films et des séries de télévision, et même des personnages de bande dessinée comme Watchmen d’Alan Moore

Kitty a été cette voix criant dans une nuit de mars 1964. Une plainte perdue dans la nuit qui, comme un écho, se répète jour après jour aujourd’hui, et de différentes formes. Car nous avons normalisé la violence. Il y a quelques temps, pour donner un simple exemple, un groupe de fans du club Belgrano de Cordoba (Argentine) ont jeté de l’une des tribunes du stade un jeune de 22 ans.

Après être tombé d’une hauteur de 5 mètres, le garçon est resté sur les gradins avec un grave traumatisme et est mort quelques heures après, alors que le reste des fans continuait à monter et à descendre les marches, avec une normalité impassible. Comme si rien ne s’était passé, comme si cette vie ne faisait partie que du mobilier du stade. Jusqu’à ce que finalement, ils aient recours à la police.

L’exposition continue aux actes agressifs (que ce soit lors des événements sportifs, à la télévision, sur Internet etc.) nous a rendu plus tolérant-e-s, plus passif-ve-s, et moins réactif-ve-s face à la violence. C’est possible. Mais tout cela n’est ni logique, ni justifiable, et encore moins humain.

Nous devons cesser d’être de simples témoins, de nous transformer en un grain de sable dans la masse et faire comme tout le monde, c’est-à-dire RIEN. Prenons des initiatives, soyons des agents intègres dans le monde de la coexistence, du respect et surtout, de la préoccupation véritable envers les autres.

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