Hercule Poirot, ou comment apprendre à utiliser ses cellules grises
Rédigé et vérifié par le psychologue Sergio De Dios González
Lorsque nous pensons au roman noir et policier, nous avons tendance à l’associer au roman principalement britannique du début du XXème siècle. Des détectives tels que Sherlock Holmes ou Hercule Poirot nous viennent alors inévitablement à l’esprit. Et c’est précisément le petit homme belge qui va nous intéresser aujourd’hui.
Agatha Christie est celle qui s’est chargée de donner vie à ce personnage si singulier. Hercule Poirot a fait sa première apparition dans le roman La Mystérieuse Affaire de Styles (1920). A partir de là, il est devenu l’un des personnages les plus récurrents de l’écrivaine. Il a en effet tenu le rôle principal dans 33 romans et une cinquantaines de récits courts.
La reine du crime a toujours eu une relation d’amour-haine avec son personnage. Elle disait, à son sujet, “Pourquoi? Pourquoi ai-je inventé cette détestable et assommante petite créature? Je dois malgré tout avouer qu’Hercule Poirot a gagné. Désormais, je ressens pour lui une certaine affection qu’il m’est impossible de nier”.
Agatha Christie et le succès de son oeuvre
La réputation de Christie a rapidement grandi, tout comme celle de ses personnages, Hercule Poirot et Miss Marple. Certains de ses livres ont été catalogués comme les meilleurs de leur genre. En outre, son oeuvre a été traduite en plus de 100 langues, ce qui a fait d’elle l’écrivaine la plus traduite au monde. Les ventes la situent juste en-dessous d’auteurs comme Shakespeare et d’œuvres comme La Bible ou Don Quichotte.
Cependant, le succès auprès du public ne s’accompagne pas toujours de l’adoration de la critique. C’est pour cette raison que, pour beaucoup, l’oeuvre d’Agatha Christie ne devrait pas être cataloguée en tant que littérature, mais plutôt comme une sous-littérature. En d’autres termes, une littérature pensée pour le public de masse. On ne peut cependant pas nier qu’il s’agit d’une écrivaine facilement identifiable, et surtout grâce à son personnage Hercule Poirot.
Le personnage d’Hercule Poirot
Conan Doyle, père de Sherlock Holmes, était l’un des auteurs favoris de Christie. Dans ses premiers romans, nous identifions un Poirot qui suit la tradition du Sherlock de Doyle ou d’Auguste Dupin d’Edgar Allan Poe. Cependant, avec le temps, Christie a doté son personnage d’une identité propre, en l’éloignant de ses influences et en le détachant de la tradition de Doyle.
Comparer Poirot à d’autres détectives du genre ou essayer de le comprendre en prenant Holmes pour modèle ne serait pas juste. Il mérite une analyse à part. Poirot est un personnage facilement reconnaissable par le public. Il possède un grand nombre de traits distinctifs qui le rendent unique et le transforment en un détective aussi particulier qu’exceptionnel, à la fois détestable et adorable.
Le perfectionnisme de Poirot
Vaniteux, perfectionniste, méthodique, extrêmement organisé, adorateur des formes carrées et de la symétrie, un maniaque qui frôle la pédanterie et, surtout, belge, très belge; c’est comme cela que nous pourrions décrire Hercule Poirot. Christie a donné la nationalité de Tintin à son détective suite à son contact avec les réfugiés belges au cours de la Première Guerre Mondiale.
Le perfectionnisme qui caractérise Poirot se reflète dans son apparence physique. Hercule Poirot est décrit comme: petit, rondelet, avec une moustache pointue très particulière. Cette moustache est si soignée et parfaite qu’elle en devient comique; tout, dans ce personnage, est parfaitement calculé. Une petite saleté sur sa veste le perturberait au plus haut point. Par ailleurs, rien, absolument rien, ne le dérange plus qu’un cadre légèrement de travers.
Une infinité de manies et d’extravagances mèneront Poirot à des situations vraiment comiques, qui allégeront le cadre tragique et macabre des intrigues. Cette idée de comique chez Poirot brise, d’une certaine façon, le cliché de l’idiot burlesque. Il s’éloigne de l’homme gentil et maladroit qui fait rire tout le monde, comme Sancho Panza. Hercule Poirot est un détective très intelligent, capable de démasquer le plus atroce des assassins en ne faisant que l’observer et en s’aidant de ses “petites cellules grises”. Personne n’échappe aux mains de Poirot: ce détective est capable de se plonger dans la psychologie du crime.
Hercule Poirot et le crime
Son obsession pour la perfection le conduit à la rechercher dans n’importe quelle situation, et même sur les scènes de crime. Les oeuvres d’Agatha Christie suivent toutes la même structure: présentation de personnages, crime, enquête et résolution. Les personnages appartiennent généralement à la classe aisée, les espaces sont réduits et les crimes motivés par les passions ou l’argent. Hercule Poirot résout les enquêtes sans se salir, en gardant son calme, en observant et en interrogeant. Il se sert de la psychologie et de la raison.
En faisant cela, il se plonge dans l’esprit des criminels, il se connecte avec le lecteur et la psychologie. Christie nous propose un jeu: elle a mélangé toutes les pièces tout au long du livre et, comme Poirot, nous devons les réorganiser pour que tout finisse par avoir un sens. C’est comme cela qu’Agatha Christie a réussi à combiner “ce que les gens aiment” et “ce qui fait vendre”; elle a su se connecter à son public, mais pas à la critique.
Hercule Poirot au cinéma
Ce type d’œuvres, avec une structure simple et une intrigue captivante, est toujours susceptible d’être adapté au grand écran. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que de nombreux acteurs aient joué le rôle du célèbre détective belge. Adapter un roman d’Agatha Christie est généralement synonyme de succès au niveau des entrées mais, en réalité, il s’agit d’une arme à double tranchant qui peut soit aboutir à quelque chose de bien, soit finir en véritable échec.
Des films qui se sont trop éloignés de l’essence de Poirot
Pourquoi une version cinématographique d’un personnage aussi connu et apprécié échouerait-elle? Précisément à cause de sa réputation, de sa singularité et de la facilité avec laquelle nous reconnaissons le personnage. Si, à l’écran, le Poirot que nous voyons diffère trop de celui des livres, la sensation va être celle d’un profond rejet. C’est ce qui est arrivé au pauvre Kenneth Branagh en 2017 avec Le crime de l’Orient Express. Si vous n’avez pas lu le livre, le film peut avoir un certain charme; or, si vous connaissez le personnage, le détective de Branagh ressemblera à tout sauf à Hercule Poirot.
Beaucoup d’action, beaucoup de libertés et, surtout, un Hercule Poirot trop agile, trop mince et peu crédible. Poirot n’aurait jamais recours à la violence. Il ne se retrouverait jamais dans des situations avec trop d’action. C’est un personnage méthodique, tranquille, réfléchi, comme les romans d’Agatha Christie. De la même façon, les faits que l’on narre dans Le crime de l’Orient Express ont lieu dans un espace réduit, claustrophobique, avec peu d’action et beaucoup de dialogues.
La clé de l’oeuvre d’Agatha Christie est de découvrir progressivement l’intrigue, de se déplacer à travers de petits espaces, bien décorés et luxueux… Ceci ne colle peut-être pas au cinéma de masse du XXIème siècle, et expliquerait pourquoi la version de Branagh n’a pas convaincu. Il faut cependant signaler qu’en même temps, l’ombre d’une autre adaptation planait au-dessus de ce film: la version de 1974, dans laquelle Albert Finney incarnait un grand Poirot (de quoi donner un torticolis aux spectateurs).
Hercule Poirot, le détective éternel
Le temps n’a peut-être pas été bénéfique à ce détective. Nous garderons donc en mémoire les interprétations classiques de Peter Ustinov et, bien sûr, du magistral David Suchet qui, pendant des années, a donné vie à Poirot à la télévision. Il n’y a rien de mal à vouloir réinventer une oeuvre mais, face à des personnages aussi singuliers, on ne peut pas toujours viser juste. Il vaut parfois mieux maintenir un bon souvenir qu’essayer d’éclairer un endroit déjà bien illuminé.
Christie a toujours voulu mettre fin à ce personnage qui lui a fait connaître le succès. C’est pour cela qu’elle a écrit Hercule Poirot quitte la scène, pour assassiner son insupportable et adorable détective. L’écrivaine a conservé cette oeuvre dans un tiroir pendant des années, jusqu’au moment où elle a jugé bon d’accorder un repos éternel aux cellules grises d’Hercule Poirot. La popularité du détective était si grande et l’impact de sa mort si profond que The New York Times a publié le seul faire-part de décès qui ait jamais été dédié à la mort d’un personnage.
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