Raisonnement émotionnel : quand les émotions voilent les pensées
Rédigé et vérifié par Psychologue Valeria Sabater
Le raisonnement émotionnel est un processus cognitif à travers lequel nous donnons forme à une idée ou à une croyance, en fonction de la façon dont nous nous sentons. Il s’agit probablement de la forme d’auto-sabotage la plus habituelle : par exemple, si je me sens triste, c’est parce qu’il ne m’arrive que des mauvaises choses ; si je suis jaloux-se, c’est parce que mon compagnon/ma compagne a la secrète intention de m’être infidèle, au moment où je m’y attendrai le moins.
Raisonner en fonction de la façon dont nous nous sentons est quelque chose que nous avons tou-te-s fait, beaucoup plus souvent que ce que nous pouvons croire. C’est un piège, un mauvais tour de notre cerveau qui a parfois du mal à interpréter et gérer correctement les émotions. Les preuves observées ne compteront pas parce que tout fait objectif et rationnel sera délibérément ignoré en faveur de la “vérité” assumée par les sentiments.
“Si nos pensées restent embourbées à cause de sens symboliques biaisés, de raisonnements illogiques et d’interprétations erronées, nous deviendrons, en réalité, aveugles et sourds.”
-A. Beck-
Ainsi, savoir que notre travail et notre foyer ne représentent pas la même chose ne servira à rien. Car parfois, quand nous rentrons stressé-e-s, épuisé-e-s et en colère à la maison et que notre compagnon/compagne fait un commentaire peu opportun, nous finissons par transférer nos émotions négatives sur lui/elle parce que, en fin de compte, “tout le monde cherche la même chose” : nous exaspérer, nous rendre malheureux-se.
Nous pourrions sans doute donner beaucoup plus d’exemples ; certains frisent même l’irrationalité la plus absurde. Comme quand une personne monte dans une attraction à sensations et, tout à coup, a la conviction qu’elle va mourir. Ainsi, avec l’idée ferme et désespérée de fuir à tout prix de ce risque qui lui semble réel et imminent, elle va décider de détacher toutes ses sécurités, mettant ainsi réellement sa vie en danger.
Le raisonnement émotionnel nous mène vers une tempête parfaite, un chaos absolu de pensées biaisées qui nous laissent rarement indemnes…
Le raisonnement émotionnel, un mécanisme extrêmement primitif
Nous pourrions parler ici de l’intéressante théorie de Paul MacLean sur le cerveau triunique. Nous pourrions parler de ce second cerveau, le limbique, qui s’est formé sur la base du cerveau reptilien et qui contrôle et donne forme à notre comportement émotionnel. C’est celui qui, selon beaucoup de personnes, régule des processus aussi basiques que le conditionnement classique ou le conditionnement opérant et nous fait parfois agir d’une façon peu logique, voire même irrationnelle.
Cependant, il vaut la peine de signaler que pour la neuroscience, ce modèle n’est pas solide ; notre cerveau, en réalité, est une structure unique, interconnectée et sophistiquée, où aucune aire concrète n’assume un contrôle sur nous de manière exclusive.
Malgré tout, s’il y a bien une chose que nous ne pouvons pas nier, c’est que dans la majorité des cas, nous permettons bien à nos émotions de raisonner pour nous, tombant ainsi dans ce piège primitif à travers lequel la force d’un sentiment donne forme à une conviction qui n’a rien à voir avec la réalité.
Ainsi, nous mettons de côté notre capacité d’analyse, de réflexion, d’induction et ce principe de logique si nécessaire pour établir des relations solides et gérer avec efficacité une situation déterminée. Par ailleurs, il faut signaler que le raisonnement émotionnel est l’une des pierres angulaires de la thérapie cognitive fondée par Aaron Beck dans les années 70. Ses théories et points de vue nous sont d’une grande utilité pour mieux comprendre ce type de mécanisme.
Étudions à présent ces théories et perspectives.
Aaron Beck : vos émotions et la réalité qui vous entoure ne représentent pas la même chose
Parfois, quand nous nous promenons dans un champ ou en haut d’une montagne au lever du jour, nous pouvons soudainement voir comment une étendue de fumée nous enveloppe peu à peu. Cependant, cette fumée n’est pas le résultat d’un incendie. Rien n’est en train de brûler : c’est seulement du brouillard. Le simple fait de favoriser, dans notre esprit, ce subtil équilibre entre raison et émotion, nous permettra sans doute de tirer des conclusions beaucoup plus utiles et justes dans notre quotidien.
Quiconque se laisse emporter par la pulsion de l’émotion restera bloqué par cette peur qui ternit et déforme tout. Nous allons voir des incendies là où il n’y a que des prairies paisibles. Ce phénomène donne lieu à ce qu’Aaron Beck a défini comme un type de sabotage de la part de notre esprit, un type de distorsion cognitive qui nous pousse à nous laisser mener exclusivement par le pôle le plus adverse de nos émotions négatives.
En général, nous ne faisons pas très attention à la façon dont nous nous sentons. Nous ne nous demandons pas non plus d’où proviennent nos réactions. Presque sans nous en rendre compte, nous laissons les pensées automatiques prendre le plein contrôle de notre vie.
- Un autre phénomène curieux qui a lieu avec le raisonnement émotionnel est la procrastination. S’il y a quelque chose qui me dérange ou me préoccupe, ou s’il y a une chose que je me sens incapable faire, je la remettrai à plus tard au lieu d’y faire face. Cet ajournement continu dans la prise de décisions est également régie par ce monde purement émotionnel et instinctif qui cherche à nous préserver à tout prix des risques, en nous plongeant dans notre zone de confort.
- Il faut parfois rajouter à la procrastination une généralisation excessive à partir d’un fait anecdotique ou très ponctuel. Par exemple, “si la personne qui me plaît n’a pas voulu de moi, c’est parce que l’amour n’est pas fait pour moi…”.
- Enfin, et en tant que caractéristique particulièrement habituelle chez les personnes qui raisonnent à partir de leurs émotions, nous retrouvons le fait de juger les comportements ou les états émotionnels des autres sur la base de leur ressenti au moment présent.
Comme nous pouvons le voir, nous imaginons de véritables fumées à partir de feux inexistants qui réduisent complètement notre qualité de vie, nos relations personnelles et notre croissance personnelle…
Comment pouvons-nous combattre le raisonnement émotionnel ?
La thérapie cognitivo-comportementale, basée sur les approches d’Aaron Beck, est un bon point de vue pour essayer de réduire ce type de distorsion cognitive. Nous allons maintenant vous détailler quelques stratégies de base sur lesquelles nous pouvons réfléchir :
- Identifiez vos pensées automatiques. Pour cela, il est nécessaire de se rappeler que nos pensées influent de façon directe sur ce que nous ressentons : nous devons donc être capables de les identifier et de les évaluer.
- Quand le raisonnement émotionnel gouverne, les sentiments se confondent avec des faits. Le raisonnement émotionnel fait empirer le stress, approfondit la dépression et accroît l’anxiété. Il est donc vital, chaque fois que nous faisons l’expérience d’une émotion négative, que nous nous arrêtions un instant pour y réfléchir, pour l’analyser, pour la canaliser, pour la réduire…
- Chaque fois que vous émettez un jugement, aussi petit soit-il, essayez de creuser l’émotion qui se trouve derrière lui et le mécanisme qui vous a poussé à donner vie à cette idée, à ce jugement de valeur.
- Demandez-vous si vous êtes capable de penser à la situation actuelle d’une manière différente. Par exemple, si vous vous dites que vous êtes naïf-ve d’avoir fait confiance à quelqu’un qui vous a trahi, au lieu de conclure que “personne n’est digne de confiance”, dites-vous “je ne suis pas naïf-ve, j’ai appris une grande leçon et je ne ferai plus jamais la même erreur”.
Pour conclure, nous savons que le principal problème du raisonnement émotionnel est que, une fois que nous permettons à nos émotions de se transformer en vérités assumées, il est très difficile de lever l’ancre de ces îles habitées par la tourmente. Cependant, il est nécessaire d’assumer le contrôle de nos univers émotionnels.
Si nous sommes ce que nous pensons, nous laissons donc ces pensées nous rendre libres, heureux-ses et compétent-e-s.
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