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La forme de l'eau : les vrais monstres

7 minutes
La forme de l'eau : les vrais monstres
Gema Sánchez Cuevas

Rédigé et vérifié par Psychologue Gema Sánchez Cuevas

Écrit par Leah Padalino
Dernière mise à jour : 27 décembre, 2022

La cérémonie des Oscars est l’événement de l’année dans le monde cinématographique et, en 2018, La forme de l’eau en fut l’un des principaux protagonistes. Le cinéaste mexicain Guillermo del Toro est connu pour sa forme particulière de mêler le fantastique et la réalité, fasciné depuis l’enfance par des monstres, il a toujours essayé de les intégrer dans un fantasque poétique où les apparences sont trompeuses.

Grâce à son esthétique marquée, il parvient à nous captiver visuellement et, dans le cas de La forme de l’eau, il ne se contente pas uniquement du visuel et de l’esthétique, mais va plus loin en accompagnant son imaginaire particulier d’un discours emprunt d’amour vers la d’altérité. Un discours hautement nécessaire aujourd’hui, qui nous invite à embrasser les différences et à défier les barrières sociales.

La forme de l’eau est une sorte de La belle et de bête contemporaine, actualisée et améliorée. La Bête n’a pas à devenir humaine et la Belle n’est pas une princesse. En dépit d’être un film fantastique, Del Toro intègre une grande vraisemblance, nous faisant revenir aux années 60 et nous présentant des personnages très réels et très proches de nous. Cette façon de mélanger le fantastique avec la réalité, de parvenir à ce que nous croyions fidèlement ce que nous voyons, la magie transmise par les scènes et la musique, font de La forme de l’eau le film immanquable de cette année 2018.

L’altérité dans La forme de l’eau

L’histoire semble avoir toujours récompensé les hommes blancs, occidentaux, forts et puissants ; tout le reste fut relégué au second plan. Les femmes, les homosexuels, les immigrés, les Noirs… tous furent éclipsés et leur lutte pour l’égalité des droits n’est intervenue que tardivement (et l’est toujours). Guillermo del Toro se définit lui-même comme faisant partie de cette altérité. Un mexicain résidant aux États-Unis, aussi bon cinéaste soit-il, ne peut se débarrasser de cette étiquette d’immigrant.

En outre, depuis l’enfance, il s’est toujours considéré comme une personne particulière, différente, fascinée par le fantastique et disposant d’une grande imagination, ce qui l’amena au sommet du monde cinématographique. Le cinéma peut effacer les barrières (ou les rendre plus fortes), il a le pouvoir de changer le monde, de présenter à la société un discours politique à travers un ton amical. Guillermo del Toro, avec La forme de l’eau, rend hommage à l’altérité, embrasse les différences et fait tomber les barrières.

Some figure

Le film commence par la présentation d’une femme vivant seule dans les années 60 qui, malgré sa solitude, semble heureuse et qui, tous les matins, commence sa routine avant de se rendre au travail : préparer le repas, nettoyer ses chaussures et se masturber dans la baignoire. Une femme tout à fait normale et des scènes chargées d’un grand naturel qui contrastent avec la fantaisie du film. Cette femme, nommée Eliza, est muette et orpheline, ce qui ne l’empêcha aucunement d’obtenir son indépendance. Eliza travaille comme femme de ménage dans un laboratoire secret du gouvernement, se lie d’amitié une collègue afro-américain dénommée Zelda.

Les deux femmes représentent le plus bas échelon dans la hiérarchie du laboratoire, sont des femmes et, en outre, “nettoient la merde”. Les hommes blancs et puissants seront ceux qui occupent le plus haut échelon, elles étant considérées comme insignifiantes ; en outre, Eliza est muette et Zelda afro-américaine, ce qui n’améliore en rien leur situation. À côté d’elles se trouve l’ami d’Eliza, Giles, un vieil artiste gay qui vit avec ses chats. Ces trois personnages sont le reflet de l’altérité et, tout au long du film, nous verrons des situations très inconfortables et difficiles auxquelles ils devront faire face : le racisme, l’homophobie, le machisme

En pleine guerre froide et au plus fort de la conquête de l’espace, le laboratoire voit arriver à un être étrange qui a été capturé en Amazonie, lieu où il était vénéré et traité comme une divinité. Cet être possède des caractéristiques très similaires à celles de l’être humain, cependant, il s’agit d’un amphibien. Eliza le découvrira et ressentira une certaine faiblesse pour la créature ; elle est une humaine incomplete (elle ne peut pas parler) et l’étrange créature l’observe sans préjugé, sans remarquer qu’elle est incapable de parler. Une connexion très spéciale émerge entre eux.

Cet être étrange sera dans le collimateur des Russes et des Américains, sera maltraité et ils voudront le tuer pour procéder à une étude plus approfondie. De son côté, Eliza, avec ses amis et un espion russe qui travaille dans le laboratoire, fera tout son possible pour le sauver. Les héros seront ici l’altérité, et les puissants les vrais monstres, tout un discours politique au milieu d’un monde fantastique. Mais non seulement nous trouvons l’altérité dans les personnages les plus réalistes, mais également dans l’homme amphibien qui sera l’extrémité de l’altérité au sein de l’altérité, un être unique, différent et, par conséquent, torturé.

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La forme de l’amour

La gamme chromatique choisie pour le film nous rapproche du monde aquatique, les couleurs froides, les tons verts et bleus sont une constante, des scènes jusqu’aux vêtements, tout tourne autour de l’eau. Le titre lui-même est curieux dans la mesure où l’eau n’a pas de forme, tout comme l’amour. Del Toro a souvent expliqué que le titre est une allusion à l’amour, à un amour qui ne connait ni les formes ni les barrières.

Del Toro a également reconnu que le film est une épine qu’il avait planté depuis l’enfance lorsqu’il visionna L’Étrange Créature du Lac Noir, un film présentant des arguments similaires, mais dans lequel le monstre et la fille ne finissent pas ensemble. Del Toro considérait cela comme une erreur car il se sentait très identifié avec le monstre, avec cet être étrange et différent qui génère le rejet de la plupart des mortels. Pour lui, ce genre d’histoires d’amour doit être consommé, elles doivent montrer que l’amour ne connait pas de barrières et que n’importe qui peut tomber amoureux et profiter pleinement de l’amour.

C’est ainsi que naît La forme de l’eau, où la bête n’a pas besoin de s’humaniser et de devenir prince pour jouir de sa bien-aimée et, en outre, où la femme ne fait ni partie de la royauté, ni ne représente un être inaccessible d’une beauté extraordinaire, mais est une femme qui lutte et s’accepte elle-même.

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Les monstres dans La forme de l’eau

Malgré les apparences, le personnage le plus monstrueux du film est représenté par le colonel Richard, l’homme qui a capturé le “monstre”. Un personnage puissant et ambitieux qui méprise quiconque n’est pas comme lui.

Un moment très significatif est celui où il discute avec Zelda sur le monstre et ose dire que “Dieu nous a créé à son image”, faisant référence au fait que le “monstre” ne mérite aucun respect, mais, en outre, il rectifie et dit que Dieu est davantage comme lui que Zelda et, sans le dire explicitement, nous percevons à travers son attitude tout à fait raciste, que Dieu doit beaucoup ressembler à un homme blanc .

Son abus de pouvoir l’amène aussi à mépriser la femme, à la chosifier, nous voyons du harcèlement sexuel envers Eliza et une relation de domination absolue avec sa propre épouse. La hiérarchie de Richard est très claire, d’abord les hommes blancs, puis les femmes, et enfin, tout le reste. Qui est le véritable monstre ?

La forme de l’eau nous laisse un sentiment d’espoir, très loin des autres films plus tragiques du cinéaste. Guillermo del Toro nous invite à laisser de côté nos préjugés, à profiter de ce fantasme qui suppose un chant d’amour à l’altérité, vers quelque chose de différent, vers quelque chose plus que nécessaire dans la société actuelle.


“Lorsque je pense à elle, tout ce qui me vient à l’esprit est un poème”


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