Si les neurosciences étaient de la poésie

Le cerveau adore la poésie, à tel point qu'il est programmé pour la reconnaître. Ce genre littéraire, en fin de compte, nous a toujours accompagnés dans notre évolution humaine.
Si les neurosciences étaient de la poésie
Valeria Sabater

Rédigé et vérifié par Psychologue Valeria Sabater.

Dernière mise à jour : 03 février, 2023

Michio Kaku, le célèbre physicien américano-japonais, souligne souvent que sur nos épaules se trouve l’objet le plus complexe que la nature ait créé dans tout l’univers connu. En effet, le cerveau et ses plus de 69 milliards de neurones constituent l’entité la plus fascinante et unique de notre existence.

Or, si la neuroscience veut connaître tous ses mystères, elle doit, ni plus ni moins, se transformer en poète. Cette métaphore subtile a tout son sens et aussi sa transcendance magique. La poésie a accompagné l’évolution de l’humanité et est fortement ancrée dans le développement des émotions et des cognitions.

La culture est un produit de l’esprit de l’être humain ; elle le façonne et l’influence de telle manière qu’il s’enfonce dans sa conscience et forme de nouveaux corrélats neuronaux. Nous sommes ce que nous faisons, ce que nous lisons et aussi ce que chaque lecture inspire et éveille en nous – et bien sûr aussi chaque vers.

« Pour s’évader de la terre
un livre est le meilleur vaisseau;
et l’on voyage mieux dans le poème
que dans le coursier le plus fougueux et le plus rapide

Même le plus pauvre peut le faire,
car il n’a rien à payer:
l’âme dans le transport de son rêve
ne se nourrit que de silence et de paix ».

-Emily Dickinson, Rêverie-

Femme au cerveau illuminé représentant la métaphore de Lete et Mnemosyne
En poésie, les mots acquièrent une plus grande valeur et ont un impact plus significatif et stimulant sur notre cerveau.

Si les neurosciences étaient de la poésie, on comprendrait mieux le cerveau

La poésie fait partie de l’histoire de l’humanité et est apparue comme un besoin fondamental pour exprimer des états intérieurs. Ainsi, bien que la plus ancienne trace écrite dont nous disposons date de 4 300 ans, nous savons que ses racines sont peut-être plus anciennes. En ces temps où l’alphabétisation n’était pas encore répandue, la poésie se transmettait oralement.

Elle servait à raconter des événements héroïques (poésie épique) et à approfondir des sentiments, comme l’amour ou le désir (poésie lyrique). La poésie avait un caractère rituel et communautaire chez les Sumériens ou les Assyro-Babyloniens, et il y avait des peuples qui utilisaient l’églogue pour louer des divinités, des paysages ou leur propre bonheur ressenti. Il est aisé de comprendre l’implication que cela a pu avoir au niveau neurologique.

Si les neurosciences étaient de la poésie, on comprendrait mieux que le cerveau est programmé pour la reconnaître. Comme le souligne le psychologue Guillaume Thierry, la poésie semble s’inscrire dans nos substrats mentaux comme une intuition profonde. En fait, chaque être humain est un poète inconscient.

La poésie est une alliée des émotions et de la cognition

Une bonne partie d’entre nous avons des vers préférés. Si un électroencéphalogramme nous était pratiqué pendant que nous lisions nos poèmes préférés, nous découvririons l’intense activation que cet acte produit dans d’innombrables zones du cerveau. C’est exactement ce qu’a fait l’Université d’Exeter dans une étude, pour découvrir que la poésie peut être tout aussi stimulante – voire plus – que la musique.

Par exemple, il a été possible de voir comment elle stimulait la zone droite du cerveau, comme cela se produit avec les stimuli musicaux. Cependant, les régions de l’aire gauche, ainsi que les ganglions de la base, le cortex préfrontal et les lobes pariétaux étaient également fortement activés. Ce sont des domaines liés au traitement approfondi de l’information, à la pensée flexible et à la reconnaissance.

Les auteurs de cette étude soulignent que la poésie fait non seulement monter nos émotions mais nous permet également de prendre conscience de chaque mot, de chaque métaphore. Cela éveille la pensée inductive et réflexive, ainsi que la capacité de réfléchir aux différentes significations et perspectives que notre réalité peut avoir.

Emily Dickinson et les neurosciences

Si les neurosciences étaient de la poésie, elles auraient Emily Dickinson comme référence. La célèbre poétesse du Massachusetts ne fait pas seulement partie de ce panthéon de figures incontournables de la poésie américaine, comme l’ont été Edgar Allan Poe, Ralph Waldo Emerson et Walt Whitman : elle est la personnalité préférée de nombreux lauréats du prix Nobel qui ont étudié les mystères du cerveau humain.

Des biologistes comme Gerald Edelman ou des neuroscientifiques cognitifs comme Stanislas Dehaene ont utilisé l’un de ses poèmes comme introduction à leurs publications. Dickinson écrivait en 1862 que le cerveau est plus vaste que le ciel, plus profond que la mer, et qu’il n’est que le poids de Dieu. Ce qu’elle a fait en réalité, c’est décrire ce produit du cerveau qu’est l’esprit et son pouvoir lorsqu’il s’agit d’expérimenter et de créer la réalité.

Son poème représente, pour les neuroscientifiques, une expérience du sublime et de la capacité du cerveau à construire des perceptions. Le cerveau fait partie de la nature humaine, mais il la transcende grâce à ses pensées et son imagination, pouvant aller au-delà du ciel, être plus profond que l’océan lui-même…

« Le cerveau est plus vaste que le ciel
car, mettez-les côte à côte,
l’un absorbera l’autre
avec facilité, et vous avec.

Le cerveau est plus profond que la mer
car, saisissez-les, bleu contre bleu,
l’un absorbera l’autre,
comme une éponge assèche un seau.

Le cerveau a le poids exact de Dieu
car, soupesez-les, gramme par gramme,
et leur différence sera, si elle existe,
celle de la syllabe et du son.

-Emily Dickinson, Le Cerveau (1862)-

Ressentir les mots pour éveiller la conscience

La littérature enrichit les gens de manière indéniable. Elle nous apporte des connaissances, éveille en nous de nouvelles perspectives et se configure souvent comme un exercice cathartique de changement et de bien-être. Cependant, si les neurosciences étaient de la poésie, elles comprendraient que leur pouvoir va au-delà du récit et éveille davantage en nous la conscience émotionnelle de soi.

Les vers, les métaphores et toutes les ressources poétiques font du mot un déclencheur psychologique. Ils nous permettent de ressentir, de voir et de comprendre le monde d’une manière plus riche et plus complexe. L’utilisation de symbolismes augmente l’introspection, le sens critique et la mentalité réflexive. De plus, cela nous encourage à nous connecter avec nous-mêmes et avec ce qui nous entoure à un autre niveau.

La poésie stimule l’imaginaire, car jouer avec les mots nous invite aussi à jouer avec la réalité et à la réinventer, à la voir sous de multiples prismes. Les neurosciences savent que la poésie embellit non seulement le langage mais active aussi un ressort atavique dans le cerveau pour le rendre plus riche et augmenter ses connexions synaptiques. Alors n’hésitons pas, naviguons sur ces mers de lettres pour nous sentir, si possible, bien plus vivants.


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