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Le bruit, la faille dans nos jugements qui nous empêche de prendre les bonnes décisions

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Comment deux médecins peuvent-ils poser des diagnostics différents pour les mêmes symptômes et réalités cliniques ? Le psychologue et prix Nobel Daniel Kahneman appelle cette variabilité « bruit ».
Le bruit, la faille dans nos jugements qui nous empêche de prendre les bonnes décisions
Valeria Sabater

Rédigé et vérifié par Psychologue Valeria Sabater

Écrit par Valeria Sabater
Dernière mise à jour : 03 mars, 2022

Le bruit, Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter (2021) est le titre du dernier livre du psychologue et prix Nobel Daniel Kahneman, écrit avec Olivier Sibony et Cass Sunstein. Il ne faut pas de boule de cristal pour deviner que cette œuvre aura autant de succès que son précédent best-seller, Think fast, think slow (2011).

Le thème central proposé par cette nouvelle publication répond à l’un des aspects les plus étudiés et passionnants de la psychologie : la prise de décision et sa variabilité. Prenons un exemple : face au même crime, deux juges peuvent prononcer des peines différentes. De plus, face au même problème médical, deux médecins posent également des diagnostics différents.

Comment peut-il en être ainsi ? Pourquoi cette variabilité dans la prise de décision face à des circonstances similaires ? Pour Kahneman, ce phénomène est beaucoup plus complexe que les préjugés ou les biais cognitifs. Il baptisa cette réalité cognitive dans laquelle deux jugements qui devraient être identiques varient par le terme « bruit ». Voyons pourquoi.

“Il est temps que nous accordions plus d’attention au” bruit “. Cela peut nous aider à réduire les erreurs dans notre système et la prise de mauvaises décisions qui génère tant de problèmes dans nos environnements sociaux.”

-Daniel Kahneman-

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Qu’est exactement le « bruit » dont nous parle Daniel Kahneman ?

Daniel Kahneman remporta un prix Nobel avec son collègue, le psychologue israélien Amos Tversky, pour avoir été des pionniers en révélant quelque chose que nous faisons tous les jours et dont nous ne sommes pas conscients. Les biais cognitifs façonnent complètement nos jugements, de sorte que de nombreuses décisions économiques, par exemple, peuvent être plus irrationnelles que rationnelles.

A présent il nous propose une autre idée. Beaucoup de nos décisions ne sont pas seulement influencées par des biais cognitifs. Elles sont également « polluées par le bruit ». Mais à quel genre de bruit cet expert en psychologie du jugement et de la décision fait-il référence ? Ce terme renvoie à un concept statistique intéressant.

La curieuse variabilité des humains lors de la prise de décisions similaires

Médecins, avocats, psychiatres, économistes… Il existe de nombreux domaines de la société dans lesquels ses protagonistes portent des jugements différents face à des réalités similaires. L’origine de ces particularités ne résulte pas seulement des biais cognitifs, mais dans le bruit. Pour définir ce problème, Daniel Kahneman utilise l’exemple d’un analyste d’empreintes digitales.

C’est comme si ne disposant que d’une seule empreinte digitale, l’analyste décide le matin que l’empreinte digitale est concluante et l’après-midi, il décide que ce n’est pas une preuve valable. Cette variabilité dans la décision n’est pas utile. C’est ce qui se passe dans de nombreux scénarios. Il y a des médecins, des psychiatres et des juges qui, face à des événements similaires, donnent des avis différents.

Cette incapacité au moment de conclure à quelque chose de clair s’appelle “bruit” dans le domaine des statistiques.

Le bruit est une variabilité là où vous ne voulez pas qu’elle soit

S’il y a quelque chose dont les êtres humains ont besoin, c’est de cohérence. C’est aussi ce que nous attendons de nos institutions, des acteurs sociaux et des personnes qui nous accompagnent au quotidien ou qui traitent de sujets pertinents. Nous voulons que tous ces personnes parlent d’une seule voix. Si un juge prononce un type de peine pour un crime spécifique, nous voulons qu’un autre juge prononce la même peine pour un autre crime identique.

Ainsi, lorsque nos environnements sociaux se remplissent de bruit et de variabilité, nous ressentons de la méfiance. Cependant, le plus frappant, est que certains travaux s’affranchissent de cette dimension. Par exemple, les postiers ou les coursiers des grandes entreprises effectuent des tâches complexes selon des directives identiques. Dans ces cas, il n’y a pas de “bruit”.

Pourquoi alors les médecins, les juges, les cadres et les grands managers prennent-ils des décisions différentes dans des situations similaires ?

Erreurs dans les décisions de jugement et incapacité à en prendre conscience

Il est plus facile d’identifier un biais cognitif que la présence de bruit dans les décisions et le raisonnement. Il s’agit de la prémisse à partir de laquelle Kahneman et ses collaborateurs partent. Cette approche, appliquée au monde de l’entreprise et de la finance, était déjà un sujet d’intérêt pour le psychologue Paul Slovic, président de Decision Research.

Cette institution se compose de scientifiques et d’experts qui étudient la prise de décision à des moments où il y a des risques. Dans ses travaux de recherche en 1972, il soulignait déjà l’importance de connaître les facteurs à l’origine de ces comportements. Ainsi, le livre de Kahneman et son concept de bruit démontrent ce qui suit :

  • Des personnalités sociales plus pertinentes et plus responsables (comme les médecins et les juges) prennent des décisions basées sur une expérience informelle et des principes généraux, plutôt que sur des règles rigides et consensuelles.
  • Il peut parfois être approprié de décider sur la base de ces facteurs, mais dans de nombreux cas, prendre une décision sur la base d’idées générales plutôt que de règles spécifiques est aussi mauvais qu’intolérable.

Les expertises, décisions de justice, diagnostics, évaluations de marché ou encore audits financiers montrent un taux de bruit élevé. Les professionnels parviennent alors à des conclusions disparates.

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Des audits pour identifier le bruit comme solution

La conclusion est aussi significative qu’inquiétante. Il existe de nombreux professionnels qui décident des aspects d’une grande importance, très différents de leurs pairs. Ils se basent sur des règles élaborées par eux-mêmes et non sur celles propres à leur métier. Cela fait alors surgir de grandes injustices, d’erreurs insurmontables et de pertes d’argent.

Daniel Kahneman prône la création d’audits basés sur l’identification du bruit. Pour ce faire, les dirigeants et les professionnels doivent être préparés à affronter une réalité qui peut leur être désagréable. Ce n’est qu’alors qu’ils agiront en conséquence.

Il s’agit d’un problème invisible qui existe dans presque tous les contextes sociaux, car lorsque quelqu’un est habitué à porter des jugements, il court toujours le risque d’introduire du bruit dans ce raisonnement. C’est comme quand quelqu’un qui connaît parfaitement les règles du jeu d’échecs décide soudain de déplacer les pions ou la reine d’une manière différente…

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  • Kahneman, D. Sibony, O. Sunstein, Cass (2021) Ruido: Un fallo en el juicio humano. Madrid: Debate
  • Slovic, P. (1972). Psychological Study of Human Judgment: Implications for Investment Decision Making. The Journal of Finance, 27(4), 779–799. https://doi.org/10.2307/2978668

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