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Amnésie antérograde : l'incapacité d'apprendre

12 minutes
Amnésie antérograde : l'incapacité d'apprendre
Gema Sánchez Cuevas

Rédigé et vérifié par Psychologue Gema Sánchez Cuevas

Écrit par Francisco Pérez
Dernière mise à jour : 21 décembre, 2022

Se souvenir d’un numéro de téléphone lorsque l’on a pas son agenda à portée de main, reconnaître une personne dans la rue et l’identifier par son nom, se rappeler de l’endroit où on est allé-e en vacances l’été dernier… Tout autant de fonctions normalement attribuées à un processus psychologique basique très important : la mémoire. Or, quand la capacité de se rappeler de choses qui se sont produites dans le passé est endommagée ou que l’on n’est pas capables d’apprendre quelque chose de nouveau, il se peut que notre mémoire soit endommagée et que l’on soit victime de l’amnésie antérograde. Approfondissons tout cela dans la suite de cet article.

Actuellement, on considère également comme important le rôle de la mémoire pour le temps d’économie que suppose son bon fonctionnement : en effet, les personnes qui ont “une bonne mémoire” sont capables de résoudre un problème de manière plus rapide si elles l’ont déjà résolu précédemment, en ayant déjà pratiqué le processus nécessaire pour trouver la solution.

Il faut dire la même chose du souvenir que l’on a de capacités telles que celles de nager, d’écrire avec aisance sur un clavier ou de faire du vélo. Ce sont des habilités qui, une fois apprises, ne s’oublient pas même si on cesse de les pratiquer pendant longtemps. Elles peuvent “s’oxyder” par manque de pratique, mais on pourra récupérer le niveau antérieur en peu de temps.

Vue depuis cet angle, la mémoire humaine semble responsable du fonctionnement de tâches très diverses. Cependant, ce fonctionnement n’est pas toujours mené à bien de manière satisfaisante. Certains échecs, comme celui de ne pas se rappeler d’où on a laissé les clés de la maison, ne nous semblent pas très graves. D’autres fois, l’échec peut nous sembler inquiétant, comme lorsque l’on n’arrive pas à se souvenir avec qui on a parlé il y a quelques heures.

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Qu’entend-t-on par “mémoire” ?

La mémoire, c’est la capacité sur laquelle on compte pour apprendre, organiser et fixer des événements de notre passé. Elle est intimement liée à un autre processus psychologique basique : l’attention. Via la mémoire, nous sommes capables de garder des informations au travers de mécanismes ultra complexes qui se développent en trois étapes : codification, stockage et évocation. La présence de l’amnésie empêche que cette capacité se développe de manière adéquate.

On peut définir la mémoire comme le processus psychologique qui sert à codifier l’information, la stocker dans notre cerveau et la récupérer quand la personne en a besoin. L’important, c’est que cette information acquise au travers de l’apprentissage puisse être récupérée quand cela est nécessaire, parfois avec une grande rapidité et une grande précision et parfois avec une grande difficulté.

Les études réalisées dans le domaine de la psychologie cognitive de la mémoire et la neuroscience cognitive de la mémoire indiquent qu’il existe différents systèmes de mémoire dans le cerveau humain : chacun avec ses caractéristiques, ses fonctions et ses processus propres.

La mémoire est le processus psychologique qui sert à codifier l’information, la stocker dans notre cerveau et la récupérer quand la personne en a besoin.

L’incapacité d’accéder aux souvenirs ou d’apprendre quelque chose de nouveau

L’amnésie est identifiée comme un symptôme lorsqu’il est vérifié que quelqu’un a perdu la mémoire ou bien qu’il a des difficultés à se souvenir des choses. La personne touchée par ce symptôme n’est pas capable de stocker ou de récupérer l’information précédemment enregistrée, que ce soit pour des raisons organiques ou fonctionnelles.

L’amnésie organique est liée à un certain type de lésion dans une zone cérébrale, qui peut être causée par des maladies, des traumatismes ou par l’abus de certaines drogues. L’amnésie fonctionnelle, en revanche, apparaît par des facteurs psychologiques comme un mécanisme de défense (par exemple, l’amnésie hystérique post-traumatique).

Il existe des cas d’amnésie spontanée, comme l’amnésie transitoire globale (TGA selon ses initiales en anglais). Ce trouble est plus fréquent chez les hommes d’un âge avancé et dure généralement moins de vingt heures.

Un autre type de classification est celle qui divise l’amnésie en deux en fonction des souvenirs que la personne ne peut pas récupérer ou former. Ainsi, on dit qu’une personne présente une amnésie antérograde quand elle est incapable de former de nouveaux souvenirs ; d’un autre côté, on parle d’une personne qui a une amnésie rétrograde quand elle ne peut pas récupérer les souvenirs auxquels elle pouvait accéder auparavant.

La personne souffrant d’amnésie antérograde peut se souvenir de faits qui se sont produits dans sa jeunesse ou dans son enfance, mais est incapable d’apprendre et de se souvenir de faits produits à partir du moment où est arrivée la lésion qui a provoqué l’amnésie.

Le syndrome de Korsakoff

Le syndrome de Korsakoff est une des marques cliniques les plus fréquentes dans le domaine des amnésies organiques ; de fait, l’amnésie fait partie de ses critères de diagnostic et c’est un de ses symptômes les plus évidents et handicapants. Ce syndrome porte ce nom car Korsakoff a été le premier à le découvrir.

Le syndrome de Korsakoff se caractérise par une phase aiguë de confusion mentale et de désorientation spatio-temporelle. Dans les étapes chroniques, l’état confusionnel est constant. Bien souvent, l’apparition de ce syndrome est la continuation d’un épisode aigu de la maladie de Wernicke (encéphalopathie).

La symptomatologie principale de l’étape de Wernicke consiste en la présence d’ataxie (manque de mouvements coordonnés), d’ophtalmoplégie (paralysie des muscles oculaires), de nystagmus (mouvements incontrôlés des pupilles) et de polyneuropathie (douleur et faiblesse dans différents membres).

Les personnes présentant le syndrome de Wernicke-Korsakoff souffrent aussi d’une désorientation dans le temps, l’espace et les personnes, d’une incapacité à reconnaître leurs proches, d’apathie, de problèmes d’attention et d’une incapacité à avoir une conversation cohérente.

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Amnésie rétrograde : l’oubli du passé

Une forte commotion cérébrale, en conséquence d’une chute, d’un accident ou du recours aux chocs électriques en tant que méthode thérapeutiques chez les patient-e-s dépressif-ve-s, produit souvent une amnésie rétrograde. Souvent, l’amnésie semble affecter uniquement les minutes antérieures à la commotion. Si elle est très forte, la perte peut affecter les souvenirs formés au cours des mois, voire même des années précédant le moment de la commotion.

L’amnésie rétrograde se définit ainsi comme une incapacité à se souvenir du passé. Dans bien des cas, ce type d’amnésie disparaît, si bien que la personne retrouve une partie de sa mémoire de manière graduelle. Dans les meilleurs cas, la récupération qui se produit est complète.

Amnésie antérograde : vivre sans futur

Il existe des cas où une lésion cérébrale produit un déficit global et permanent de mémoire sans qu’il n’y ait d’autres détériorations intellectuelles. On appelle cela le “syndrome amnésique”. La personne souffrant d’amnésie “pure” maintient intacte sa capacité intellectuelle, n’a pas de problèmes de langage, ne montre pas de détériorations dans la perception ni dans l’attention et conserve les habilités acquises avant la lésion.

Cependant, la personne amnésique se caractérise par une grande difficulté à retenir l’information nouvelle (amnésie antérograde). Ces personnes sont capables de maintenir une conversation. Leur mémoire opérative fonctionne normalement, même si quelques minutes après elles ne sont plus capables de se souvenir de l’épisode.

La personne avec ce type d’amnésie ne peut pas apprendre de choses nouvelles (ou a de grandes difficultés à le faire) et, parfois, elle ne peut pas non plus se souvenir de l’information antérieure. C’est un peu comme vivre perpétuellement dans le présent ; le passé n’existe pas et le futur peut difficilement être imaginé sans un passé. On dit de la personne amnésique qu’elle “vit continuellement dans le présent”, qu’elle ne peut pas faire de plans pour le futur (elle les oublie).

Cependant, la personne souffrant d’amnésie antérograde est capable d’apprendre de nouvelles habilités, même si son apprentissage est plus lent que chez les autres.

Zones cérébrales impliquées

Déterminer quelles régions du cerveau participent au développement de l’amnésie antérograde constitue un des principaux défis pour la science actuelle. De manière générale, on soutient que le dommage cérébral qui occasionne l’amnésie antérograde se localise dans l’hippocampe et les zones du lobe temporal médial.

Ces régions cérébrales agissent comme un paysage où sont stockés les faits de manière provisionnelle jusqu’à s’accumuler de manière plus permanente dans le lobe frontal. Ainsi, l’hippocampe est comme un entrepôt de mémoire à court terme. Si cette région ne permet pas de garder l’information correctement, il sera impossible qu’elle passe dans le lobe frontal, car les souvenirs ne pourront pas s’établir à long terme.

Cependant, même si l’hippocampe semble être la région la plus importante de l’amnésie antérograde, des études récentes ont supposé la participation d’autres structures cérébrales. Concrètement, on part du principe que des dommages dans le cerveau basal antérieur pourront aussi affecter le processus. Ces régions sont chargées de produire de l’acétylcholine, une substance très importante pour le fonctionnement de la mémoire, puisqu’elle initie et module les processus de formation de souvenirs.

La forme la plus commune de dommages dans le cerveau basal antérieur sont les anévrismes, une pathologie qui est associée à l’amnésie antérograde. Finalement, la relation entre les altérations mnésiques et le syndrome de Korsakoff a mis au jour qu’une troisième région pourrait aussi être impliquée dans le développement de l’amnésie antérograde.

Cette dernière structure est le diencéphale, une région qui reste hautement affectée par le syndrome de Korsakoff. La grande association qui existe entre l’amnésie antérograde et le syndrome de Korsakoff fait qu’aujourd’hui, on étudie la participation du diencéphale dans les processus mnésiques.

La sensation de vivre hors du temps présent

Les tests les plus clairs d’amnésie antérograde proviennent du faible rendement des amnésiques dans les tests traditionnels de souvenir et de reconnaissance. En effet, quelques minutes après leur avoir présenté une liste de 15 ou 20 mots, l’amnésique ne peut se souvenir que de quelques uns.

De plus, la détérioration est plus évidente pour les mots du début ou du centre de la liste, alors que les derniers sont mieux retenus. Il arrive la même chose lorsqu’il s’agit d’une conversation, d’un film ou d’un programme de télévision. Les événements quotidiens sont un problème : les personnes amnésiques oublient où elles ont laissé les choses, ce qu’elles ont fait et qui elles ont vu.

En raison de cela, elles peuvent avoir des problèmes de cohabitation, car il leur est difficile de maintenir une conversation ou de se souvenir de quoi elles ont parlé avec une personne à des occasions antérieures. De plus, elles donnent la sensation de vivre hors du temps présent.

Pour les personnes amnésiques, les événements quotidiens sont un problème : elles oublient où elles ont laissé les choses, ce qu’elles ont fait et qui elles ont vu.

Elles parlent d’événements et de personnes du passé comme s’il s’agissait d’événements et de personnes du présent. Elles ne peuvent pas faire de plans pour le futur, et ne savent pas non plus ce qu’elle feront le lendemain. Peut-être est-ce pour cela qu’il leur manque cette chaleur ou cette intimité personnelle que normalement on met dans nos références au passé et dans nos espoirs sur le futur.

En même temps, il résulte évident que leurs problèmes de mémoire peuvent leur causer de sérieux troubles dans la vie quotidienne. Chez elles, elles peuvent nécessiter une attention ou une supervision constantes, puisqu’elles ne sont pas capables de se souvenir de prendre un médicament aux heures prescrites, elles ne peuvent pas apprendre à réaliser des tâches qui incluent bien des étapes successives, etc.

Cependant, les personnes souffrant d’amnésie antérograde peuvent faire d’autres choses. Certaines ont appris à réaliser des parcours courts, par exemple, de leur domicile aux commerces de proximité. Beaucoup de leurs connaissances semblent ne pas s’être perdues, de même que cela arrive avec l’amnésie rétrograde.

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Les personnes amnésiques peuvent-elles apprendre de nouvelles connaissances générales ?

Gabrieli, Cohen et Corkin (1983) ont essayé de le vérifier avec le patient H.M., en lui demandant de définir des mots et des phrases. Il ne réussit que très peu à le faire. Il a aussi essayé d’apprendre le sens des mots non familiers. Malgré un entraînement assez long, il fut à peine capable de former correctement une paire entre les mots et les définitions.

Il existe d’autres cas. Un enfant de 10 ans souffrant d’une amnésie antérograde sévère, en raison d’une anoxie (manque d’oxygène), n’a pas réussi à améliorer son niveau de lecture après l’épisode, et il le faisait assez mal dans divers tests de mémoire sémantique. En revanche, il fut capable d’apprendre à utiliser des jeux d’ordinateur avec la même facilité que ses compagnons (Wood, Ebert et Kinsbourne, 1982).

Comment peut-on expliquer l’amnésie ?

Certaines explications théoriques ont cherché la clé dans l’existence de plus d’un système de mémoire. C’est pourquoi le rendement dans les différents tests varient si on les compare avec le rendement de la population non amnésique.

La distinction entre mémoire épisodique et mémoire sémantique (Tulving, 1972) a servi à certains auteurs pour maintenir que dans le syndrome amnésique la mémoire sémantique fonctionne normalement. Cela expliquerait la conservation des fonctions linguistiques. La détérioration de la mémoire épisodique donnerait lieu aux échecs du souvenir et de la reconnaissance ; un échec propre à ces personnes.

La personne amnésique maintient intactes les fonctions du langage et montre un bon rendement dans les tests avec les mots qui requièrent des connaissances acquises un temps après. En ce sens, tous les concepts et toutes les règles qui sont nécessaires pour résoudre ces tests avec succès sont acquis très tôt dans la vie de chacun-e.

En laissant de côté les théories sur comment s’acquiert l’amnésie, l’important est que l’on reste avec l’idée que l’amnésie antérograde est un déficit sélectif de la mémoire qui arrive comme conséquence d’un dommage cérébral ; la conséquence est que la personne présente des difficultés importantes pour stocker de nouvelles informations. Les personnes qui souffrent de cette altération sont incapables de se souvenir d’aspects nouveaux et présentent beaucoup de difficultés d’apprentissage.

En revanche, l’amnésie antérograde n’affecte pas le souvenir de l’information passée. De cette manière, toute l’information stockée avant l’apparition de l’altération reste préservée et la personne est capable de s’en souvenir sans problème. D’un autre côté, il faut tenir compte du fait que les caractéristiques de l’amnésie antérograde peuvent varier dans chaque cas.

 

 

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