Nous en savons maintenant plus sur la façon dont nous créons de nouveaux souvenirs
Rédigé et vérifié par Psychologue Gema Sánchez Cuevas
Le cerveau est l’organe responsable de deux facultés fondamentales : penser et agir. Les deux requièrent, pour leur mise en marche, une capacité à apprendre (stocker) et se souvenir (récupérer) de l’information acquise. Les grandes avancées de la neuroscience au cours de ces dernières années ont permis de connaître certains des mécanismes qui travaillent quand ces capacités se mettent en marche, en prêtant une attention particulière à ces zones qui s’activent quand nous générons de nouveaux souvenirs.
La science-fiction d’un côté et la pression médiatique de l’autre ont fait perdurer, dans l’inconscient collectif, quelques erreurs, mythes ou points de vue peu précis sur notre système nerveux central : on en est arrivé à accepter que le cerveau est comme un ordinateur ou qu’il s’agit d’une structure plastique avec des capacités illimitées. Dans l’actualité, nous savons que ce n’est pas du tout vrai car nous en avons appris davantage sur la façon dont se créent et communiquent ces petites cellules magiques qu’on appelle neurones.
Dites-vous que les émotions sont intimement liées à la mémoire. De nombreuses recherches signalent que les événements avec un contenu émotionnel, positifs ou négatifs, sont beaucoup plus remémorés que ceux qui ne sont codifiés à aucune émotion. En ce sens, la mémoire émotionnelle est le résultat de la génération de souvenirs qui a été accompagnée de facteurs activateurs, à travers lesquels ces derniers sont fixés plus facilement.
Les souvenirs ont besoin de différents processus psychologiques et neurobiologiques particuliers qui apparaissent indispensables et nécessaires pour la formation de nouveaux souvenirs et, par extension, de la mémoire. En définitive, la trace mnésique est le résultat du stockage de l’information accompagnée de facteurs d’alarme ou d’alerte à travers lesquels se fixent nos souvenirs.
“Nous nous souvenons, naturellement, de ce qui nous intéresse, parce que cela nous intéresse.”
-John Dewey-
Où sont conservés les souvenirs ?
Les souvenirs à court et long terme se génèrent de façon simultanée et sont respectivement stockés dans l’hippocampe et le cortex préfrontal. Ainsi, l’aire cérébrale dans laquelle sont stockés les souvenirs à court terme a déjà été identifiée, mais ce n’est pas le cas du processus de mémorisation à long terme. Cependant, une étude menée par des chercheur-se-s de l’Institut Picower d’Apprentissage et de Mémorisation de l’Institut Technologique de Massachusetts à Cambridge (Etats-Unis) a réussi, pour la première fois, à décrire l’endroit et la façon dont se créent les souvenirs à long terme.
Comme l’indique Mark Morrissey, co-auteur de la recherche, les souvenirs se forment en parallèle pour ensuite prendre des chemins différents : ceux du cortex préfrontal se renforcent et ceux de l’hippocampe s’affaiblissent (sauf s’il y a une révision).
La nouveauté de cette étude réside dans la démonstration du fait que la communication entre le cortex préfrontal et l’hippocampe est très importante. Si le circuit qui connecte des deux régions cérébrales s’interrompait, les engrammes du cortex ne se développeraient pas correctement. Ou, pour le dire avec des termes différents, les souvenirs à long terme ne se stockeraient pas.
Les souvenirs sont absolument essentiels pour notre développement et survie. Et encore plus dans le cas des souvenirs négatifs qui, sous leur forme d’alarme, nous préviennent du risque que nous pouvons courir en répétant un comportement qui nous a fait souffrir dans le passé. Ainsi, dans le but de nous garder en vie et de donner un sens à la souffrance, le cerveau a besoin de stocker les souvenirs à long terme.
“Rien ne fixe plus intensément un souvenir que le désir de l’oublier.”
-Michel de Montaigne-
Les souvenirs dépendent de nos neurones
Les résultats de l’étude de Mark Morrissey ont montré que les neurones de la mémoire se situent dans trois aires cérébrales : dans l’hippocampe, le cortex préfrontal et l’amygdale, cette dernière étant impliquée dans les souvenirs associés aux émotions. En définitive, ces résultats annulent de nombreuses théories antérieures sur la consolidation des souvenirs. On établissait auparavant que les souvenirs à court et long terme ne se formaient pas de manière simultanée dans l’hippocampe et le cortex préfrontal mais se généraient dans l’hippocampe pour, plus tard, être transférés vers le cortex cérébral.
Les neurones, en pratique, fonctionnent sur la base de la communication, car le cerveau utilise un faible nombre de cellules cérébrales pour se souvenir d’une chose qu’il a vue. Cela contredit ce qui avait été pensé jusqu’alors : le cerveau se sert d’un énorme réseau de neurones pour stocker des souvenirs. L’étude suggère que les neurones agissent comme des cellules pensantes, capables de se spécialiser dans des souvenirs déterminés, sélectionnés au préalable par le cerveau.
Cette découverte pourrait servir à rendre “artificiellement” la mémoire à des personnes qui ont souffert de dommages cérébraux ou qui sont affectées par des maladies comme Alzheimer. En même temps, les résultats suggèrent l’existence d’un code cérébral qui joue un rôle important dans la connaissance de la perception visuelle et dans les processus cérébraux pour élaborer notre mémoire abstraite.
En-dehors du champ de la neurologie, cette découverte contribuera sans doute à développer l’intelligence artificielle et les réseaux de neurones, en améliorant l’architecture d’un grand nombre de dispositifs technologiques d’usage quotidien que nous utilisons pour sauvegarder et traiter des informations.
“Nos souvenirs sont le seul paradis dont nous ne pourrons jamais être expulsés.”
-Jean-Paul Richter-
Hippocampe, cortex préfrontal et amygdale
Dans les années 50, on a étudié le cas du patient Henry Molaison, qui avait souffert de dommages à l’hippocampe après une opération destinée à contrôler ses épisodes épileptiques. Après cette dernière, Molaison fut incapable de créer de nouveaux souvenirs ; il conservait cependant ceux qui dataient de sa pré-opération, ce qui a révélé l’importance de l’hippocampe dans la formation de nouveaux souvenirs à long terme.
Ce cas a suggéré que les souvenirs épisodiques à long terme à propos d’événements spécifiques étaient stockés dans un endroit situé hors de l’hippocampe et les scientifiques considèrent que ce lieu est le cortex préfrontal, la partie du cerveau chargée des fonctions cognitives, comme le fait de planifier ou prêter attention à quelque chose. Cela suppose que les théories traditionnelles sur la consolidation de souvenirs peuvent ne pas être exactes, même si de nouvelles études sont nécessaires pour déterminer si les souvenirs s’effacent totalement des cellules de l’hippocampe ou si le fait que nous ne nous souvenions pas de quelque chose est simplement dû à un problème dans la récupération.
De son côté, l’amygdale joue également un rôle important pour déterminer la structure avec laquelle nous stockons les nouveaux souvenirs. L’association des nouveaux souvenirs avec les états émotionnels permet une plus grande connexion et fixation des situations à remémorer. En d’autres termes, l’amygdale est chargée de donner plus ou moins de visibilité à un souvenir en fonction des émotions associées. Elle joue également un rôle au moment de déterminer les détails d’un souvenir qui resteront enfouis plus profondément et ceux qui le seront moins.
Ainsi, même quand l’hippocampe a une faille et ne permet pas de stocker certains souvenirs, cette région sous-corticale permet de préserver un certain souvenir émotionnel de cette situation.
L’amygdale a une fonction protectrice et cela explique pourquoi certaines personnes ont très peur des chiens (mémoire émotionnelle) mais ne se souviennent pas de la situation qui a fait surgir cette peur (mémoire narrative). Cela est probablement dû au stress qu’elles ont traversé dans le passé avec ces animaux ou au fait que l’événement initial a été accompagné d’autres moments similaires. Ce type de mémoire, la mémoire émotionnelle, est celle qui nous permet de nous souvenirs de ce qui, dans notre environnement, est associé à un événement dangereux ou bénéfique.
L’activation de l’amygdale face à des stimuli qui provoquent de la peur renforce la trace des souvenirs, la rend profonde. C’est-à-dire que nous nous souvenons mieux des choses qui nous arrivent quand des émotions intenses surgissent en même temps ; l’activation émotionnelle est ce qui facilite la consolidation des souvenirs.
Nous avons ici vu certaines des découvertes les plus importantes qui ont été faites au cours de ces dernières années sur la mémoire et la création de nouveaux souvenirs. Malgré tout, les réponses que les chercheur-se-s défendent actuellement ne sont rien de moins que des réponses fermées. De la même façon, et étant donné qu’il s’agit de découvertes récentes, nous n’en avons pas tiré le meilleur profit possible pour améliorer la vie de ces personnes qui souffrent de problèmes de mémoire.
La différence entre les faux et les vrais souvenirs est la même que celle qui existe entre des diamants et des imitations : normalement, ceux qui semblent être les plus réels et les plus brillants sont faux.
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