1917 : un plan séquence angoissant

1917 était annoncé comme l'un des grands favoris pour le prix le plus prestigieux des Oscars. Il ne remporta toutefois pas le prix.
1917 : un plan séquence angoissant
Leah Padalino

Rédigé et vérifié par critique de cinéma Leah Padalino.

Dernière mise à jour : 27 décembre, 2022

1917 était annoncé comme l’ un des grands favoris pour le prix le plus précieux aux Oscars. Il dut néanmoins se contenter des statuettes récompensant la partie la plus technique. Les parasites furent incontestablement la véritable révélation, un film qui marque l’histoire et remporte les prix les plus convoités.

Le talent ne distingue ni les langues ni les frontières. Cela fut confirmé par l’octroi historique du prix du meilleur film à un film sud-coréen. Nous parlerons néanmoins ci-après d’un autre des grands favoris. Un film qui triompha aux BAFTA et aux Golden Globes, mais pas tellement aux Oscars.

Un passé quelque peu oublié

D’innombrables longs métrages ont été réalisés sur la Seconde Guerre mondiale et même sur le Vietnam. Peu de titres retentissants au niveau international ont en revanche été inspirés de la Première Guerre mondiale. L’un des plus connus est peut-être Paths of Glory de l’inoubliable Stanley Kubrick avec Kirk Doulgas, récemment décédé.

La Première Guerre mondiale soulève plus de doutes que la Seconde. Elle n’est en outre pas aussi cinématographique que cette dernière. L’ennemi n’est peut-être pas suffisamment clair et le chaos qui la caractérisa gêna, d’une certaine manière, son adaptation au cinéma.

Tout spectateur qui se réfère au cinéma de guerre citera inévitablement des titres dans lesquels l’ennemi clair n’est autre que le nazisme.

Sam Mendes, inspiré par les histoires que lui racontait son grand-père ose, à travers un film d’histoire simple et une mise en scène sublime, se plonger dans les tranchées de la Grande Guerre.

Activer les bons leviers

Une blague peut être racontée de différentes manières et, selon qui la raconte et comment elle est racontée, elle nous fera rire fort ou non. Cette affirmation, aussi simple qu’elle puisse paraître, peut s’appliquer au cinéma et, finalement, à l’art.

Le message est fondamental, cela ne fait aucun doute. Si la trame de fond ne nous touche pas, peut-être n’y a-t-il pas grand-chose à faire. Mais, à ‘instar de toutes blagues, la façon de raconter est essentielle.

La trame de 1917 ne saurait être plus simple : deux simples soldats de l’armée britannique doivent transmettre un message à une autre troupes pour éviter que l’ennemi ne les massacre.

C’est alors qu’une chose aussi simple qu’un message prend vie et gagne l’empathie du public. Un public qui garde un silence sépulcral car il sent son cœur oppressé et ses nerfs à fleur de peau face à un danger aussi imminent que la mort.

Image tirée du film 1917.

Le casting du film comprend certains grands noms du cinéma britannique des dernières décennies, tels que Colin Firth ou Bennedict Cumberbatch. Il laisse néanmoins toute la responsabilité des rôles principaux à deux jeunes inconnus.

Il est vrai qu’un autre type de narration aurait laissé davantage de place aux personnages secondaires et aux acteurs susmentionnés. La décisio n de s’appuyer sur un nombre réduit de protagonistes permet toutefois au public d’entrer pleinement dans l’action.

Les tranchées ne parurent jamais aussi choquantes, aussi poétiques et aussi étouffantes à la fois. Le spectateur peut percevoir la terreur, la solitude et la désolation. Et tout cela grâce à une technique impeccable qui prend racine dans le suspens. Comment est-ce possible ? Grâce à l’utilisation d’un plan-séquence éternel et illusoire.

1917 et un faux plan séquence

1917 n’a pas inventé quelque chose d’absolument nouveau puisque Hitchcock lui-même expérimenta avec La Corde en 1948 les limites de la coupe. D’autres films plus récents, comme Birdman (Joaquin Oristell, 2015) ou Victoria (Sebastian Schipper, 2015), utilisent également cette technique.

I ls combinent et explorent ainsi les possibilités offertes par les nouvelles technologies avec une technique que nous connaissons déjà. Un succès qui fait que le spectateur s’identifie pleinement avec les protagonistes et perçoit l’action en « temps réel ».

Le travail d’interprétation et le travail technique nécessitent cependant davantage d’efforts. En effet, tout doit être parfaitement millimétrique et calculé, même les conditions atmosphériques, lors de la prise de vue avec des plans aussi longs.

L’illusion du plan séquence avec ses coupes millimétriques et presque imperceptibles nous donne, en tant que spectateurs, ce sentiment d’angoisse. Nous ne sommes plus des spectateurs passifs d’une tragédie, mais des complices.

A l’instar des protagonistes, nous ne pouvons pas non plus nous échapper. L’utilisation de la lumière naturelle, des espaces, des visages et des effets spéciaux subtils mettent l’accent sur l’action.

Le spectateur finit par se sentir pris au piège dans le labyrinthe des tranchées, par ressentir de l’empathie vis-à-vis des protagonistes et par ressentir la peur à travers l’écran.

Musique et image génèrent une beauté effrayante dans laquelle l’énergie est la clé. La caméra ne regarde jamais en arrière. Elle ne remonte jamais. Elle avance au gré des pas des personnages et la musique apparaît dans les moments de plus grande tension, nous rappelant en partie Hitchcock.

La complexité de 1917 réside précisément dans la difficulté de savoir profiter des ressources naturelles, du jeu du clair-obscur, de la lumière naturelle et de l’immédiateté qu’elle entend véhiculer, sans oublier une équipe qui a réussi à recréer une scène hostile pleine de tranchées dans lesquelles d’innombrables jeunes hommes vécurent et moururent pour une guerre qui, comme toujours, était absurde.

1917 : une expérience cinématographique

La sensation de regarder un film sans coupure, même s’il s’agit d’une illusion, génère de l’incertitude chez le spectateur. Une incertitude tragiquement entretenue avec la coupe la plus longue, la plus évidente et la plus réfléchie du film.

Après avoir reçu une balle, nous nous retrouvons dans le noir, un noir éternel qui, loin de nous soulager, augmente notre angoisse. Est-ce fini ? Verrons-nous maintenant des scènes en proie à des coupures ? Non, absolument pas. La coupe drastique ne sert que de point et suivie d’une histoire qui a encore beaucoup à dire. Une histoire qui revêt d’autres plans infinis et étouffants.

Le film obtint d ix nominations à divers grands prix, mais ne reçut que trois statuettes. Celles relatives à la technique, elles aussi importantes. Un film n’est rien sans un script solide.

Il ne peut néanmoins prendre vie exclusivement à travers le script. Des costumes à la musique, en passant par l’interprétation ou la photographie, le cinéma est un art complexe. Il s’agit en effet d’un travail d’équipe difficile dans lequel tous les éléments sont importants, fondamentaux.

Il s’agit probablement de l’un de mes articles les moins impartiaux. Néanmoins, comme dans toute critique et dans tout art, le goût joue un rôle fondamental. Je ne suis en effet pas passionné par le cinéma de guerre qui devient anti-guerre. Je suis un grand admirateur de Mendes et Roger Deakins (le génie en charge de la photographie de 1917).

Mendes me captiva avec American Beauty, m’hypnotisa et m’invita à plonger dans un film qui, sans trop de surprise, m’a pleinement pris et continue de me fasciner aujourd’hui. Il parvint à me montrer la beauté d’un simple sac en plastique et réussi maintenant à me submerger et à trouver la beauté dans un environnement extrêmement hostile.

Toute cette mise en scène pour nous raconter quelque chose que nous savons déjà. Quelque chose que le cinéma a répété à d’infinies occasions : les guerres sont absurdes ; l’être humain est absurde tandis que la nature suit son cours.

Parce que se noyer alors que fleurissent des cerisiers n’ a jamais été aussi significatif. Voir la mort là où la vie surgit ou voir la destruction humaine dans un environnement naturel qui lutte pour s’épanouir est poétique, cathartique et révélateur.

La nature agit comme un personnage supplémentaire, étranger aux humains, mais omniprésent. L ‘arbre s’élève comme le symbole le plus significatif. Un arbre présent au début et à la fin, ce qui rend ce film quelque peu cyclique.

Au-delà des détails techniques, 1917 est une leçon d’humanité. Un hommage clair à ceux qui vécurent la Grande Guerre, à ceux qui virent la mort entre leurs mains et leurs illusions enfouies dans la boue.

« Je voulais que le paysage soit un personnage de plus dans l’histoire ; une voix qui donnerait une autre perspective de la guerre. Il était nécessaire de disposer de temps et d’espace pour donner de la place au lyrique dans un monde perdu. »

-Sam Mendes au sujet de 1917


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