Sueurs froides, quand la psychanalyse fait du cinéma

Sueurs froides est certainement l'un des meilleurs films jamais réalisés. Un film dans lequel l'image et le symbolique ont certainement plus d'importance que les dialogues. Tout y est parfaitement mesuré : la musique, les espaces... Dans cet article, nous allons vous révéler quelques-unes des clés du "meilleur film de tous les temps".
Sueurs froides, quand la psychanalyse fait du cinéma
Leah Padalino

Rédigé et vérifié par critique de cinéma Leah Padalino.

Dernière mise à jour : 15 mai, 2023

Résumer tous l’univers de “Sueurs froides” d’Alfred Hitchcock dans un seul article relève de l’impossible. Le film se prête à une analyse très profonde. Qu’il s’agisse de la prise d’images aux costumes, ici, tout les éléments du cinéma sont importants.

Ce n’est pas pour rien qu’on a surnommé Alfred Hitchcock le “maître du suspense” et que les critiques de la prestigieux revue spécialisée Sight & Sound ont élu Sueurs froides le meilleur film de tous les temps.

En fait, jusqu’à une époque relativement récente, cette place était occupée par le film Citizen Kane d’Orson Welles, réalisé en 1941. Cependant, Sight & Sound a décidé de reconsidérer son classement au bénéfice de Sueurs froides.

La vérité c’est que le film d’Hitchcock possède tous les ingrédients pour en faire un grand film et il parvient à séduire tant la critique que le public. Cependant, son succès n’a pas été immédiat. En effet, le film a gagné en popularité au fil du temps pour finalement devenir un film intemporel.

En 2018, c’était le 60e anniversaire de ce joyau du cinéma. Pourtant, il demeure toujours aussi exceptionnel et incroyable que lors de sa première en 1958. Sueurs froides mêle le thriller à la passion amoureuse, la tragédie grecque aux troubles psychologiques, les couleurs aux formes…

Basé sur le roman D’entre les morts de Pierre Boileau et Thomas Narcejac, Sueurs froides est un film qui capte notre attention jusqu’à la fin, en jouant de façon majestueuse avec le suspense.

Les jeux psychologiques dans Sueurs froides

Hitchcock aimait jouer avec nos esprits, en introduisant des éléments de psychanalyse dans ses films. Ses films sont en fait essentiellement psychologiques, un aspect qu’il manie avec génie au plus grand plaisir du spectateur.

Le réalisateur a lui-même déclaré que la clé du suspense consistait à donner l’information au spectateur, c’est-à-dire le contraire de ce qui se faisait habituellement.

En effet, il est particulièrement difficile de maintenir la carte de l’intrigue et de garder le mystère jusqu’au bout. Il est alors probable que l’attention du spectateur se perde. Ainsi, le fait d’offrir au spectateur certaines informations privilégiées est une stratégie qui permet de conserver toute son attention et son intérêt.

Dans Sueurs froides, le suspense est palpable dès le début. Il est mis en scène de façon particulière à travers le mystérieux personnage de Madeleine. Pendant la première moitié du film, on croit voir un fantôme, une présence ou une sorte de manifestation paranormale.

Comme si nous nous réveillions d’un rêve et que nous ne nous souvenions que de quelques éléments spécifiques. C’est à nous, les spectateurs, de tenter de donner un sens à ce personnage. C’est l’un des principaux défis psychologiques que le film nous propose.

John Ferguson se prend d’un engouement obsessionnel pour Madeleine qui le conduira à la folie et à la tragédie. Cette tension s’installe dès les premières minutes du film, alors qu’Hitchcock nous laisse déjà entrevoir certains indices qui laissent penser que la mystérieuse Madeleine cache en réalité bien autre chose. Bientôt, entre en jeu le personnage de Lucie, et avec elle, le thème du double. Un concept maintes fois abordé en littérature, mais aussi en psychanalyse.

D’une certaine manière, nous savons que quelque chose de sinistre et de sombre est en train de se tramer. Bientôt, le mystère se révèle : Lucy et Madeleine ne font qu’une.

Hitchcock vend la mèche au beau milieu de l’intrigue et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, cela ne fait que monter tension. Comment cela va-t-il finir ? Comment John va-t-il réagir lorsqu’il découvrira ce qui nous a été révélé ? C’est bien là que réside toute la force du suspense.

 

En quelques sortes, le spectateur fait partie du complot car il dispose d’informations essentielles qui peuvent tout changer sur l’issue de l’histoire. Le jeu des miroirs et des apparences, souvent renforcé par le personnage de Madeleine/Lucy, augmente la tension et on observe John se plonger dans un romantisme quasi nécrophile et en proie au voyeurisme.

Le mysticisme apparaît également dans la première partie du film et renforce ainsi le sentiment d’avoir affaire à une situation paranormale.

Les problèmes du protagoniste se manifestent dès le début. Un épisode traumatisant de sa vie a provoqué chez lui de l’acrophobie, c’est-à-dire des vertiges. De même, John est connu sous différentes identités. Cela semble également indiquer un certain problème d’identité chez lui.

En outre, la sexualité du protagoniste est très présente dans le film. En effet, tout semble indiquer que John à un problème dans son intimité avec les femmes. Ainsi, divers symboles phalliques apparaissent dans le film, mais aussi certains autres liés au sexe féminin.

Le film se nourrit donc de symboliques propres à la psychanalyse et se pose en une espèce de rêve marqué par une intrigue à la fois romantique et sinistre.

Les éléments visuels

Comme nous l’avons déjà dit, tout dans le film est parfaitement calculé et les éléments visuels sont dignes d’une étude de psychanalyse. Le vertige et l’acrophobie se manifestent jusque dans les mouvements de caméra et même dans le cadre choisi. A savoir la ville de San Francisco.

En effet, San Francisco est une ville très verticale et aux nombreuses courbes. On s’en rend compte lors du long trajet en voiture qui apparaît dans le film. La géographie de la ville nourrit encore plus les sensations de mouvement et de vertige.

De la même manière, les formes en spirale accentuent cette sensation de vertige dont souffre le protagoniste. Dès le générique de début, ce sont des spirales hypnotiques qui nous invitent à cette sinistre aventure. On retrouve également ces spirales dans la scène des escaliers, dans le chignon de Madeleine, dans les fleurs, etc. Même le baiser entre les protagonistes provoque un mouvement de 360º. Cela a été rendu possible en plaçant les acteurs sur une plateforme rotative afin de créer cette sensation.

Dans l’une des scènes les plus emblématiques du film, c’est un travelling compensé, ou contra-zoom, qui a été choisi. Cette technique est même devenue connue sous le nom d'”effet vertige” grâce à ce film. Ce mouvement de caméra combine en effet un zoom avant ou arrière avec un mouvement de déplacement dans le sens opposé. Cela crée une sensation de vertige et même d’inconfort auprès du spectateur.

Dans Sueurs froides, nous découvrons à travers les yeux du protagoniste à quel point les escaliers deviennent absolument terrifiants et vertigineux. La spirale apporte le mouvement, la progression, mais elle est aussi associée à l’interprétation de Jung, qui la relie à un chemin sinueux vers la complexité même de l’être humain.

La mort et le rêve dans Sueurs froides

Les tableaux et les peintures qui apparaissent dans Sueurs froides sont également révélateurs. Lorsque nous rencontrons Gavin Elster, le méchant manipulateur du film, il est entouré d’images. Ces images symbolisent le pouvoir. En effet, si nous les observons de près, nous nous rendons compte que de nombreux chevaux y apparaissent. En effet, le cheval est souvent associé à la domination et à la manipulation.

Lorsque Madeleine observe le tableau de la défunte Carlotta Valdés, cela fonctionne sur le principe de l’effet miroir. On peut aussi y voir une chosification. En effet, alors que Madeleine regarde le tableau, John, lui, regarde Madeleine comme s’il s’agissait d’un autre tableau, d’un objet. John est ainsi tombé amoureux d’un fantôme. D’une personne qui n’est rien de plus qu’une apparence de sa bien-aimée. Une idéalisation qui devient encore plus évidente au moment où il essaie de transformer Lucy en Madeleine.

Cette situation quand à elle, nous renvoie à Pygmalion ou encore à Pétrarque et à sa bien-aimée Laure. C’est-à-dire que John vit un engouement irrépressible, une passion excessive envers la “mort” elle même. Il est un esclave de cette dernière et il va payer sa pénitence plus tard.

Enfin, la couleur joue également un rôle fondamental dans le film. Les couleurs rouges et vertes sont particulièrement présentes tout au long du long métrage et elles évoquent l’obscène, l’interdit, le sexuel, mais aussi le rêve. Le moment clé se produit lorsque Lucy, habillée et coiffée comme Madeleine, fait irruption dans la chambre entourée d’une sorte de brume et de tons verdâtres créant ainsi une image fantasmagorique. C’est comme si Madeleine était ressuscitée ou comme si nous rêvions.

Une scène dans Sueurs Froides

 

Le film n’échappe pas non plus à la réminiscence. Ainsi, il y a ce moment magique où le protagoniste voit le collier et, enfin, se souvient pour finir par comprendre la situation. Finalement, dans une autre scène fantasmagorique, le salut se trouve dans la mort. La fin des ennuis se traduit par la mort de Lucy.

A ce moment, tout le mystère est dévoilé, le protagoniste ne semble plus acrophobe et regarde d’en haut. La caméra est immobile, il n’y a plus de mouvement. C’est une image statique et glacée qui prend place, la peur a donc disparu.

Ainsi, se produit le réveil. Un réveil littéral, très similaire au réveil après un cauchemar. John entre enfin en contact avec la réalité et la guérison peut prendre place. Finalement, Sueurs froides est un film immortel qui continuera de laisser les spectateurs sans voix, en les captivant et en les conduisant à travers un monde de rêve unique en son genre.

 


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