Je ne veux pas que tu m'aimes beaucoup, je veux que tu m'aimes "bien"

 Aimer intensément, bien que cela puisse paraître difficile à croire, n’est pas synonyme de bien aimer. La quantité n’a souvent strictement rien à voir avec la qualité de la relation affective. L’amour ne suffit pas lorsque le respect ne l’accompagne pas. Cette situation est le terreau de passions destructrices et aliénantes.

Aaron T. Beck, l’un des psychiatres les plus célèbres du mouvement de la thérapie psychologique cognitivo-comportementale, nous explique ce phénomène dans son livre “L’amour ne suffit pas“. Au fil des pages, l’auteur nous propose d’examiner le reflet de nos propres pensées et de nos comportements.

Nous sommes presque tou-te-s attaché-e-s à l’idée que l’amour peut tout, que l’énergie qu’il nous donne est parfaitement saine et qu’elle permet de venir à bout de n’importe quel problème.

Pour autant, prendre conscience du fait qu’il ne suffit pas d’être beaucoup aimé-e pour être heureux-se, peut être dévastateur et décourageant, nous en sommes bien conscient-e-s. Mais c’est un schéma que l’on retrouve dans d’autres domaines de l’existence. Par exemple, le talent ne suffit pas pour avoir du succès et l’argent n’est pas la clé du bonheur.

La vie est bien plus nuancée que ce que nous voulons bien croire. Ces situations nous plongent parfois dans une incompréhension absolue et dans un mal-être relatif. Aimer intensément quelqu’un, ce n’est pas l’aimer correctement. Nous devons comprendre ce paradoxe le plus rapidement possible, pour abandonner dès à présent nos mauvaises conceptions de l’amour et pouvoir bâtir des relations plus fortes, plus satisfaisantes et plus matures.

Lorsque nous aimons passionnément, mais mal

Nous sommes nombreux-ses à choisir des partenaires avec la même idée et la même conceptualisation derrière la tête : nous devons trouver la personne qui nous convient le mieux, celle qui peut véritablement nous rendre heureux-se. Cependant, la réalité est bien différente. Comme nous le savons tou-te-s, personne ne peut choisir de qui il va tomber amoureux. L’amour frappe aveuglément, sans prévenir.

Petit à petit, il nous soumet à un tourbillon d’émotions, de sensations et d’idéalisations qui confèrent un air magique à ce que nous sommes en train de vivre. Nous commençons à nous dire que nous expérimentons quelque chose qui est hors du commun, extraordinaire, sans fioritures. En peu de temps, et sans que nous nous en rendions compte, nous basculons dans une passion sacrificielle, dans le “je vis seulement pour toi“. Cette situation de codépendance dans laquelle les deux partenaires s’aiment sans limites a pour effet d’annihiler complètement leur individualité, leur identité, pour les fondre dans une seule et même entité.

Il est important de prendre en compte que ces amours passionnelles, inconditionnelles, sont les plus dangereuses. Car l’amour authentique est bien plus terre à terre que cela, et qu’il exige des conditions pour pouvoir exister et s’épanouir. Dans un couple sain, chacun doit respecter l’intimité de l’autre, son autonomie, dans le but de construire un équilibre durable et satisfaisant.

Lorsque l’amour est excessif et qu’il est réclamé par les deux partenaires, il peut devenir une sorte de diktat, de besoin tyrannique qui tente de prendre le contrôle sur les autres aspects nécessaires à une existence épanouie.

Las 4 pièges de l’amour dépendant et de l’amour nocif

Les amours codépendantes dérivent tôt ou tard et donnent naissance à une série de pratiques que nous devons savoir reconnaître, pas seulement pour pouvoir nous défendre, mais tout simplement pour essayer de les éviter.

• Le piège du “tout ou rien”. Aimer passionnément et mal aimer peut nous rendre complétement radicaux/radicales. L’abnégation et le sacrifice doivent être absolus et inconditionnels.
• Le piège du “je devrais”. Il arrive toujours un moment où, dans ce genre de couples, l’un-e des deux partenaires (ou les deux) sombre dans l’obsession de se demander ce que l’autre devrait faire ou ne pas faire pour lui/elle. S’iel ne fait pas ceci, cela veut dire qu’iel ne m’aime pas réellement et si je fais cela pour lui/elle, iel devrait faire exactement pareil.
• Le piège de la culpabilité. Cette stratégie est certainement l’une des plus fréquentes dans les relations malsaines. Projeter le sentiment de la culpabilité sur l’autre et l’obliger à se sentir mal car iel ne prend pas suffisamment soin de nous est un comportement qui peut détruire une relation.
• Le piège de la projection apocalyptique. L’amour obsessionnel, dépendant et toxique nous amène souvent à imaginer le pire, à ne pas faire confiance à l’autre. Il fait naître en nous une peur d’être trahi-e-s ou d’être trompé-e-s qui peut devenir un véritable cauchemar.

Aime-moi bien, laisse-moi être libre tout en étant avec toi

Certains parents adorent leurs enfants, les aiment follement, les aiment tellement qu’ils sont prêts à tous les sacrifices. Ils les aiment intensément, mais les aiment mal. Leur amour est asphyxiant et coupe les ailes des êtres qu’ils aiment le plus, fait naître en eux de la frustration. Ces comportements ne permettent pas à ces futurs adultes de se développer de manière mature et heureuse.

C’est exactement la même chose dans le couple. Nous n’avons pas besoin de mourir d’amour ou de souffrir à cause de ce sentiment si noble. Nous ne devons pas renoncer à notre estime personnelle ou à notre bonheur par amour. Nous devons être exigeant-e-s et dire : “Je ne veux pas que tu m’aimes beaucoup, je veux que tu m’aimes BIEN“.

D’un autre côté, nous savons tou-te-s qu’il n’y a rien de plus grisant ni de plus plaisant que de se savoir aimé-e sans limites, d’une manière démesurée. C’est une façon d’affirmer notre “moi” et de nous sentir envahi-e-s d’une énergie débordante, qui nous émeut et qui nous envahit. Cependant, nous devons faire attention et garder la tête froide, car l’amour a bien des limites et elles s’appellent l’intégrité, la dignité et le bonheur.

Si l’un de ces piliers de votre existence vient à s’affaiblir, c’est le moment de quitter la cage dorée dans laquelle vous avez fini-e par être enfermé-e.

 

Images de Kenn Kim