Je ne suis plus cette petite fille à qui tu offrais des pyjamas ours

Je ne suis plus cette petite fille à qui tu offrais des pyjamas ours

Dernière mise à jour : 17 avril, 2017

Je te promets que tu ne lui toucheras plus jamais un bras, un pied, une main ni ne lui donnera un baiser. Car elle n’a plus de larmes et moi je n’ai plus peur. Je ne peux rien imaginer de pire que ce que nous a apporté avec ton amour vénéneux. Je ne suis plus cette petite fille que tu enfermais dans une chambre pour la couvrir de cris et décharger sur elle les frustrations qui naissaient de tes fantasmes, et qui, avec l’alcool, étaient exacerbées.

Tu ne t’arrêtais que lorsque les forces te manquaient ou quand tu donnais un coup si fort que tu avais peur que les voisins ne se doutent de ce qui se passait. Car, oui, en dehors de la maison, tu étais un Monsieur. Je t’ai même une fois entendu dire que tu n’étais pas comme ces personnes de la télé et que tu lavais ton linge sale en famille. Ce que personne ne savait c’est que tu étais ce type dégueulasse dont tu parlais, et personne même ne l’imaginait.

Tu es peut-être mon père et cela, je ne peux pas l’effacer. J’aimerais vraiment car ce mot est trop grand pour toi. Ce qu’il me reste, ce sont ces merveilleux pyjamas ours que tu m’offrais quand j’étais petite et avec lesquels tu voulais racheter ta conscience.

Au début, tu demandais pardon

Au début, tu te levais le matin et tu demandais pardon. Au lever du soleil, c’était toi qui avais peur de se retrouver sans rien. Tu cessais d’être un loup-garou pour devenir Pierre qui a peur. Tu dressais la table, tu descendais au magasin acheter des fruits et tu faisais un jus pour un verre, tu réveillais ma mère avec un baiser et tu cherchais les mots qui prétextaient la foi.

Tu disais aimer, vouloir, sentir… Tu priais, tu ferais, tu réfléchirais, tu ne reviendrais pas… Tu serrais les poings, la colère revenait, tu joignais les mains avec tes paumes comme si l’acte de séparer l’air que tu respirais recouvrait tes mots de vérité. Pendant que tu essayais de ramollir le cœur de ma mère, je te haïssais. Tu passais d’une émotion à une autre, jusqu’à ce que tu abandonnes la chambre pour ne pas revenir jusqu’au coucher du soleil.

Lors des premières années, ma mère te croyait : elle me retrouvait sous mon lit et me disait avec des mots doux ce que tu lui avais dit avec des mots déchirés, entrecoupés, certains vrais, beaucoup feints. Ensuite, elle se levait et petit-déjeunait avec toi. Elle dressait la table, faisait plus de jus pour qu’il y en ait aussi pour moi, te touchait l’épaule et m’appelait. Lorsque j’entrais, tu te cachais le visage avec le journal car dans mes yeux de petite fille, tu ne reconnaissais pas la foi qui continuait à allumer le regard de ma mère.

Tu nous a abandonnées à la merci de ta colère

Un jour où le magasin de fruits n’a pas ouvert, maman a cessé de te croire, elle ne m’a pas recueillie sur le sol et est restée à pleurer alors que tu es parti en claquant la porte. Un autre jour où tu as décidé que le théâtre n’en valait plus la peine, car cela signifiait dépenser ses forces pour rien en échange. Ainsi, le soir tu arrivais avec ta colère et le matin, tu partais avec davantage de colère. Les pyjamas ont cessé d’affluer car les meubles de la maison avaient désormais le même déguisement de jour comme de nuit.

En échange, tu as commencé à “m’offrir” un coup de temps en temps : tu pensais que j’étais suffisamment mûre pour que ta main m’apprenne ce qu’était que la vie. Tu n’as jamais imaginé que je n’étais qu’une petite fille à laquelle, chaque jour, on volait un morceau de l’enfance.

Je me souviens de beaucoup de fois, mais surtout de la première où tu m’as touché le visage et que j’ai vu le sang. J’ai alors pris conscience que mon destin commençait à s’apparenter à celui de la table ou des chaises. Bientôt, j’allais aussi avoir besoin de dissimulations : pansements, bandes, plâtres… Des questions inconfortables au collège, plus de coups à cause de mes mauvaises notes, moins d’ami-e-s à cause de ces journées reclue à la maison.

Une nuit, maman a décidé que nous irions dormir chez une amie. Ce fut la nuit de la première dénonciation. Ce n’est pas ma mère qui l’a faite, mais son amie car tu lui as détruit sa maison quand tu es venu nous chercher. Cette nuit-là tu as fait l’effort de répéter, avec une voix plaintive et rauque, les mots du premier matin. Tu as passé la nuit dans une cellule et ils t’ont relâché le lendemain. Maman a passé la nuit à pleurer, des larmes qui ont transformé le mouchoir trempé en forces pour te dénoncer. Les policiers sont venus le matin et tu leur as fermé la porte au nez.

Tu es revenu la queue entre les pattes mais en quelques jours, tu as oublié les heures de cellule. Je ne veux pas savoir quelle est la prochaine étape, j’en ai marre de voir l’avancée de cette histoire à la télé et dans les journaux. Quand tu es dehors, tu penses qu’ils exagèrent pour attirer la curiosité malsaine. Quand tu es dedans, tu penses que c’est insuffisant. C’est pour cela que je veux qu’aujourd’hui, quand ils te mettront les menottes, tu emmènes cette lettre avec toi.

Une lettre où je te demande, s’il y a un jour eu une once d’amour dans tes mots, s’il te reste un peu d’humanité, de ne jamais revenir. Pendant toutes ces années j’ai été pour toi une étrangère, aujourd’hui je suis celle dont tu ne sais pas ce dont elle est capable pour la protéger. C’est ce que j’aime le plus, comprends-le.

Avec la vérité, avec l’amour, avec tout le courage que j’ai accumulé pendant ces années, et avec le même sang qu’un jour tu as fait couler avec ton premier coup, je te promets que tu ne lui toucheras plus jamais un bras, un pied, un main ou ne lui donnera un baiser.

Signé : La petite fille que tu n’as jamais dupée avec tes pyjamas ours.


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