L'homme sans nom : la réinvention d'un genre

Le cinéma fait partie de nos vies. Il laisse sa marque, un héritage immortel et indélébile. Peu importe le temps qui passe, les films de Sergio Leone continuent de captiver les fans. C'est Clint Eastwood qui a incarné l'homme sans nom.
L'homme sans nom : la réinvention d'un genre
Leah Padalino

Rédigé et vérifié par critique de cinéma Leah Padalino.

Dernière mise à jour : 22 décembre, 2022

Chapeau, poncho, cigare éternel et regard pénétrant sont quelques-unes des caractéristiques de ce mystérieux personnage connu comme étant “l’homme sans nom”. Un homme qui a changé à jamais l’image du héros du Far West, un personnage qui a pris vie entre les mains de Clint Eastwood.

Nous avons rencontré cet archétype dans For a Fistful of Dollars avec Joe qui, en argot américain, peut signifier “garçon”, “mec”. On le trouve également dans La mort avait un prix sous le surnom de “un bras”. Et enfin, dans The Good, the Ugly and the Bad, avec “le blond”. Son nom, comme son passé, est un mystère absolu.

Son image est associée à un genre qui n’a pas duré trop longtemps, mais qui a laissé une trace importante dans l’histoire du cinéma. Nous parlons du spaghetti western et de l’une des révolutions les plus importantes du genre : la naissance de l’homme sans nom.

Les western spaghetti

Les western américains avaient insisté pour nous présenter des héros dont les valeurs contrastaient avec les territoires qu’ils traversaient. Des territoires dominés par des Indiens, des bandits. Des villes sans loi.

En Europe, le genre était passionnant. Dans un continent si ancien où il n’y avait rien à découvrir, la rencontre de territoires lointains et inexplorés fascinait.

Un article du magazine Open Area de l’Université Complutense de Madrid aborde l’idée mythifiée des stéréotypes et la manière dont l’Europe est captivée par ce genre. Le western incarnait l’archétype du héros, en suivant la piste médiévale et en traçant une ligne ferme qui distinguait le bien du mal.

En Europe, nous ne pouvions plus croire aux fées ou aux êtres mystiques. Mais nous pouvions croire aux cultures lointaines, aux hommes sauvages à la peau rouge.

Les cinéastes européens ont embrassé le genre le plus américain qui soit. Les Allemands ont été les premiers à essayer. Et peu à peu, la vague du western a balayé le reste du continent.

Entre les années 60 et 70, d’innombrables productions sont apparues. Différents pays européens y ont participé, parmi lesquels l’Espagne et l’Italie se distinguent. En raison de sa géographie particulière, l’Espagne était l’endroit idéal pour recréer les paysages arides d’Amérique du Nord.

Ces productions n’avaient généralement pas beaucoup de budget et ont été rejetées par les critiques. C’est pourquoi ce genre est connu sous le nom de spaghetti western, une désignation clairement péjorative.

Toutefois, un homme est parvenu à réévaluer le genre : Sergio Leone. Son empreinte est fondamentale et a servi d’inspiration à de nombreux cinéastes comme Quentin Tarantino, Martin Scorsese ou encore George Lucas. Mais cela a pris du temps pour qu’il gagne en reconnaissance, notamment aux États-Unis.

Leone a réinventé un genre et a permis à Clint Eastwood, en ce temps-là presque un inconnu, l’occasion de jouer l’un des personnages les plus emblématiques du cinéma : l’homme sans nom.

Il a brisé l’archétype du héros de western américain pour créer un personnage à la moralité douteuse et mystérieuse. Non seulement ce personnage tire sur les Indiens, mais aussi sur tous ceux qui se dressent sur son chemin.

L’homme sans nom brise la dichotomie entre le bien et le mal

Dans la tradition médiévale, le héros est présenté depuis ses origines et ses valeurs sont louées. Cette empreinte a survécu dans notre culture ; c’est quelque chose que nous voyons habituellement chez les super-héros de bandes dessinées.

Nous savons tout sur le héros. Ce dernier incarne une morale ancrée dans la société dans laquelle il vit. Il sert à nous montrer l’honneur et la noblesse.

L’idée du héros est profondément liée au moment où il est conçu. Ainsi, dans le western, la fierté de son histoire, de la conquête de l’ouest et des valeurs de civilisation sont très présentes. Mais ce n’est pas le cas du western spaghetti de Leone.

Dans les films qui composent la célèbre trilogie Dollar, Clint Eastwood a donné vie à l’homme sans nom, un personnage qui a brouillé les valeurs et transformé le genre.

L’homme sans nom peut être considéré plus comme un anti-héros que comme un héros. Nous ne savons rien de son passé, il est animé par l’argent et sa froideur est absolue. Son apparence et ses vêtements nous invitent à penser qu’il a connu différentes cultures ; son origine est incertaine.

L'homme sans nom a réinventé le western.

Les silences envahissent le cinéma de Leone et deviennent la marque de fabrique de son protagoniste. Les personnages ne sont pas plats ; nous en savons assez sur eux. Un bon exemple serait Tuco dans The Good, the Ugly and the Bad. Ou encore l’intrigue sombre entre Indio et le colonel Mortimer dans La mort avait un prix.

L’homme sans nom contraste avec le reste des personnages dont nous connaissons les intérêts, les motivations et le passé. Est-il bon ou mauvais ? Est-ce un héros ou un méchant ?

La dichotomie est rompue. Elle se fond dans l’homme sans nom pour nous présenter un personnage qui se trouve au milieu de cette ligne. Il semble que sa seule motivation soit l’argent. Et il n’hésite pas à recourir à la violence dans toutes les situations.

Cependant, nous ne pouvons pas non plus dire qu’il est complètement mauvais. Son air sale, ses sourcils froncés et son apparence froide contribuent à créer cette atmosphère et cet homme obsédant et totalement imprévisible. Un archétype qui se répète tout au long de la trilogie et qui peut être versionné, modifié, réutilisé et transféré vers d’autres paramètres.

C’est ainsi que nous l’avons vu dans le film The Pale Horseman, réalisé et interprété par Eastwood. Dans lequel le protagoniste est également un hors-la-loi qui se déplace entre le bien et le mal et qui est connu comme étant “le prédicateur”.

Sergio Leone ne voulait pas capturer des personnages nobles et gentils. La violence et le désespoir envahissent ses films. Dans les endroits inhospitaliers, ce qui compte, c’est la survie et les intérêts personnels.

L’homme sans nom n’agit pas pour la défense des autres. Il fait preuve d’indifférence envers les injustices et ne sauvera personne s’il ne peut en profiter.

Le cinéma dans notre culture

Cette froideur dont nous parlons est encadrée par un monde violent, hostile, loin d’être paisible.

Pour créer cette atmosphère, Leone a introduit des personnages sales, des tenues poussiéreuses et usées, des visages dérangeants et ridés. Le cadre est réaliste et contraste énormément avec l’image immaculée des personnages américains.

Le visage de l’homme sans nom est parfaitement reconnaissable, mais Leone a fait en sorte de représenter minutieusement tous ses personnages, même ceux qui n’apparaissent que quelques minutes sur scène.

Leone a été largement critiqué pour avoir mis en avant la laideur, celle de l’environnement et des visages atypiques usés par le temps et attendant la mort.

L'homme sans nom, un western à voir.

Des gros plans des mains, des pieds, des visages et également des regards. Des silences infinis et une musique incomparable sont quelques-unes des caractéristiques de son cinéma. Un cinéma où le bien et le mal sont relatifs, et qui a été honoré à maintes reprises.

Le genre a attiré d’innombrables personnes dans les salles de cinéma. Et son succès a conduit à une surexploitation qui le fera chuter sous son propre poids.

Une partie de la magie de ses films réside dans leur bande originale composée par Ennio Morricone, auteur de plusieurs des bandes originales de films les plus inoubliables. À 90 ans, il est toujours actif, même si cette année sera sa dernière tournée.

Leone et Morricone ont formé un tandem indubitable. La musique a été écrite en premier, c’est-à-dire avant de tourner les scènes. La symbiose est exceptionnelle et va au-delà de l’écran.

Stanley Kubrick lui-même admirait le travail de Leone. Il a également appliqué la même technique dans son film Barry Lyndon.

L’empreinte reste indélébile, à tel point que, l’an dernier, est sorti le documentaire Unearthing Sad Hill, lequel a été nominé pour le Goya. Dans ce documentaire, on nous a présentés l’association homonyme chargée de récupérer le cimetière mythique du Bon, la brute et le truand dans la province de Burgos.

Le fait est que le cinéma est aussi art, culture et, bien sûr, patrimoine. Par conséquent, nous devons contribuer à sa mémoire, afin qu’il ne tombe pas dans l’oubli.

“Je dors paisiblement parce que mon pire ennemi veille sur moi.”

-L’homme sans nom-


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