Fernando Pessoa l'écrivain pluriel

Fernando Pessoa est certainement l'un des écrivains les plus importants de la littérature portugaise mais aussi un auteur moderne très influent. Il a été l'un des pionniers du mouvement de l'avant-gardisme dans son pays. Son œuvre est marqué par l'usage de nombreux hétéronymes qui sont souvent associés à son identité littéraire.
Fernando Pessoa l'écrivain pluriel
María Alejandra Castro Arbeláez

Rédigé et vérifié par Psychologue María Alejandra Castro Arbeláez.

Dernière mise à jour : 13 février, 2023

Les écrivains écrivent l’histoire grâce aux mots. Chaque texte nous emmène dans des lieux uniques, à des moments inattendus et provoquent en nous des sensations parfois indescriptibles. Fernando Pessoa n’a pas été en reste dans ce domaine. En effet, il nous fait découvrir une identité pluriel dans la littérature grâce à ses écrits.

Cet écrivain fut un pionnier de l’avant-gardisme. Son travail a en effet eu une grande influence dans la littérature. En fait, il y a eu un avant et un après Fernando Pessoa. Il a, de plus, ouvert la voie à l’exploration de nouvelles formes littéraires.

Pessoa a décrit dans ses poèmes et ses textes des traits propres à l’humanité. Mais il l’a fait sous de angles diverses, allant même jusqu’à apparaître comme une personne différente dans chacun de ses écrit. Étonnant, n’est-ce pas ?

“Mettez tout ce que vous êtes dans la plus petite chose que vous faites.”

– Fernando Pessoa –

Un rapide aperçu de la vie de Fernando Pessoa

Fernando Antonio Nogueira Pessoa est né à Lisbonne au Portugal le 13 juin 1888 à 15h20, au quatrième étage de la maison numéro 4 de la Plaza San Carlos. C’était le jour de la Saint Antoine de Lisbonne.

Une enfance marquée par la littérature

Dès l’âge de 5 ans, il a commencé à éveiller son intérêt pour la lecture. Il a été fortement influencé par sa mère, qui aimait écrire des textes, et par son père, qui était éditeur de journaux. Il a également été influencé par sa tante paternelle Maria Xavier, qui elle, était poète.

A ce même âge, il vécut la perte de son père emporté par la tuberculose. Un an plus tard, son frère Jorge mourra lui aussi. Cependant, selon Pessoa lui-même ces pertes familiales ne semblent pas trop l’avoir affecté.

Une photo portrait de Fernando Pessoa.

 

Il a passé une partie de son enfance chez sa grand-mère paternelle Dionisia. Cette dernière souffrait d’un déséquilibre mental et, par conséquent, elle était parfois internée dans différent asiles portugais, comme celui de Rihalfoles. Cependant, on ne sait pas exactement de quel problème elle souffrait. En 1885, la mère de Pessoa s’est remariée avec le consul du Portugal à Durban. En conséquence, la famille s’est installé en Afrique du Sud, où Pessoa est resté pour le reste de son enfance.

Plus tard, ils retournèrent au Portugal et Pessoa décida de rester dans la maison de sa grand-mère. Il s’est inscrit à divers cours liés à la littérature. Cependant, il ne suivit aucun d’entre-eux jusqu’au bout. Six ans plus tard, Dionisia mourut et Fernando Pessoa hérita de sa maison. Il décida alors d’installer une presse à imprimer dans cette maison.

Des débuts remarqués

C’est à cette époque qu’il commence à écrire. Il rédige des critiques littéraires et traduit pour divers magazines. En 1912, il devient éditeur lorsqu’il crée la revue Orpheu. Cette revue se veut une revue internationale qui appartient au mouvement de l’avant-garde et dans laquelle collaborent plusieurs écrivains liés à Pessoa comme : Sá Carneiro, Guilherme Santa Rita, Almada Negreiros et Álvaro de Campos. De plus, c’est dans le deuxième numéro de cette revue qu’un des poèmes les plus scandaleux d’Álvaro de Campos fut publié. Il s’agit de l’Ode à Walt Withman.

En 1915, Sá Carneiro, un ami proche de Pessoa, se suicide. Cet épisode ainsi que la mort de Maria Madalena furent parmi les pires moments de la vie de Pessoa. Bien qu’il ait eu l’intention de continuer de publier la revue Orpheu et de sortir un troisième numéro ce ne fut cependant pas possible.

Un an plus tard, le poète décida de commencer une carrière d’astrologue. Cela peut paraître étrange. En réalité, il était courant pour de nombreux écrivains de parfois s’engager dans des activités telles que l’astrologie. Quatre ans plus tard, il tomba amoureux d’Ofelia Quiroz, une vendeuse à qui il écrit des poèmes et des lettres. Pessoa est mort le 30 novembre 1935, à l’âge de 47 ans, des suites d’une colique hépatique. Certains de ses hétéronymes apparaissent sur sa tombe.

Les hétéronymes

Définition

Qu’entendons-nous par hétéronymes ? On les définie comme une identité littéraire fictive, créée par un auteur, qui lui attribue même une biographie et une personnalité particulière. Cette création liée à Pessoa naît d’un besoin d’être pluriel, grâce à l’exploration d’autres mondes et d’autres sensations.

L’hétéronyme n’est pas seulement un personnage fictif ou un pseudonyme. Il ne s’agit pas non plus que d’un simple personnage, ni d’un nom d’emprunt derrière lequel se cache un auteur. En fait, à la lecture des textes écrits par différents hétéronymes, on constate des différences tant dans les caractéristiques de la personnalité de l’auteur que dans sa manière d’écrire ou encore dans le courant littéraire qui caractérise l’oeuvre.

Les hétéronymes de Pessoa

La création des hétéronymes de Pessoa se reflète dans sa propre vie et dans son œuvre. Ses hétéronymes les plus connus sont les suivants :

  • Alberto Caeiro Da Silva : Il est aussi surnommé le tuberculeux anti-humaniste et mystique
  • Álvaro de Campos : il se caractérise par l’écriture de poésie tumultueuse et il souffre de dépressions nerveuses
  • Alberto Mora : ce paranoïaque est considéré comme un philosophe du paganisme
  • Ricardo Reis : il s’agit d’un néoclassiciste scientifique à la personnalité disciplinée et méticuleuse

Fernando Pessoa a créé non seulement des hétéronymes, mais aussi des semi-hétéronymes comme, par exemple, Bernardo Soares. Dans une lettre adressée à Adolfo Casais Monteiro, Pessoa définit un “semi-hétéronyme” comme “le résultat de la mutilation de ma personnalité en m’enlevant le raisonnement et l’affectivité”.

En fait, il a commencé à créer des hétéronymes très tôt. Ainsi, dès l’âge de cinq ans, il crée Caballero du Pas, un personnage à qui il écrivait des lettres adressées à lui-même. Les critiques n’ont pas voulu considérer du Pas comme un hétéronome car les connaissances littéraires de Pessoa étaient alors trop pauvres en raison de son âge et du Pas ne possédait certainement pas encore la profondeur des hétéronymes à venir. Cependant, il est suggéré qu’il pourrait être considéré comme un proto-hétéronome. Pessoa lui-même a suggéré que son enfance fut marquée par une gout pour la mystification et le mensonge artistique.

D’autres adeptes des hétéronymes

Pessoa n’est cependant pas le seul auteur à avoir utilisé des hétéronymes. Des auteurs tels que Miguel Unamuno et Antonio Machado y ont également eu recours. Mais, comment un hétéronyme survient-il ? Dans un article de la revue Iberomania, les chercheurs Pérez et Adam suggèrent que ce type de création est le produit d’un mouvement né à la fin du XIXe siècle en Occident. Ce mouvement est une réponse à une crise d’identité. Cela se reflète alors dans un nombre infini d’œuvres écrites par des auteurs imaginaires.

Par curiosité, nous pouvons souligner quelques croisements entre la vie de Pessoa et certaines caractéristiques de ses hétéronymes. Par exemple, Alberto Cairo Da Silva avait la tuberculose. Tout comme son père. María José soufrait d’un handicap similaire à celui de sa mère après son apoplexie. Rafael Baldaya était astrologue. Tout comme Pessoa lui-même. Enfin, Bernardo Soares, comme Pessoa l’a souligné lui même était comme lui si ce n’est pour la partie émotionnelle.

Un livre de Fernando Pessoa.

La personnalité de Fernando Pessoa

Au delà de sa création littéraire, c’est aussi la personnalité de Pessoa qui est intéressante. En vérité, le personnage était évidemment étroitement lié à son écriture. Examinons à présent quelques aspects de la personnalité de Fernando Pessoa :

  • La recherche de la stabilité : dans un article pour le magazine de l’Association espagnole de neuropsychiatrie, Garcia et Angosto affirment que l’écriture était un moyen pour Pessoa de chercher une certaine tranquillité d’esprit. C’est-à-dire une façon de rester stable sur le plan psychologique
  • L’obsession : on fait ici référence aux fortes pulsions que ressentait Fernando Pessoa pour l’écriture
  • Des traits de psychose : certainement, les conséquences des phases de transes et dépersonnalisations dont parle Pessoa. Il a dit éprouver des visions et des épisodes d’illumination. De plus, certains contemporains de Pessoa ont rapporté des mouvements répétitifs chez ce dernier
  • La cyclothymie : l’instabilité psychologique qui était évidente dans ses écrits, ses changements d’humeur ou encore sa compulsion d’écrire laissent penser qu’il souffrait de ce trouble de l’humeur
  • La phobie : Pessoa avait en effet une peur profonde et irrationnelle des orages, en particulier de la foudre

Pessoa d’après Pessoa

Fernando Pessoa a lui-même développé une théorie sur sa personnalité. Il s’est déclaré hystéro-névralgique, probablement en raison de l’influence de la psychanalyse naissante de cette époque. On pense qu’il a été influencé par ses lectures de Freud et de Charcot. Il faut préciser que ces théories ont connu de profondes évolutions au cours de l’histoire. Cependant, Pessoa n’a pas toujours suivi de près ces changements. Il a donc essayé d’adapter de tels concepts à sa propre personnalité.

Ce que les autres disaient de Fernando Pessoa

Au cours de ses études universitaires, il fut décrit comme “un garçon timide et gentil, au caractère doux, extrêmement intelligent, qui avait le souci de parler et d’écrire en anglais de la manière la plus académique possible, et qui possédait un bon sens extraordinaire pour son âge.”

De plus, l’écrivain mexicain Octavio Paz le décrit de la manière suivante :

  • Une personne réticente et familière
  • Un cosmopolite qui prêche le nationalisme
  • Une personne drôle qui ne sourit jamais et qui fait froid dans le dos
  • Un chercheur solennel de choses futiles
  • Le créateur d’autres poètes et le destructeur de lui-même
  • L’auteur de paradoxes vertigineux

Pessoa s’est définitivement distingué, non seulement par ses créations, mais aussi par sa personnalité énigmatique. C’est donc toujours un défi de l’apercevoir derrière ses écrits.

En fait, tout ce que nous savons de Pessoa, ce sont ses écrits et ce que les autres ont bien voulu dire de lui. Ce qui semble clair et ce sur quoi la plupart des témoignages s’accordent, c’est son besoin d’écrire pour vivre.

“Mon âme est un orchestre caché,

Je ne sais pas de quels instruments il joue ou couine en moi,

les cordes et les harpes, les timbales et les tambours,

Je ne me connais que comme une symphonie.”

-Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité –

Les œuvres de Fernando Pessoa

Tout d’abord, lorsque l’on parle de l’œuvre de Pessoa, il est bon de souligner qu’il a laissé 27543 pages manuscrites sous le nom de 70 auteurs différents (hétéronymes et pseudonymes). Cependant, de son vivant, il n’a publié qu’un seul livre. Toutes les autres publications sont donc des œuvres posthumes. Passons à présent en revue quelques-unes des œuvres de cet illustre écrivain portugais :

  • Message (Mensagem en portugais). C’est le seul ouvrage que Pessoa a publié de son vivant. C’est une interprétation symbolique de l’histoire du Portugal. Le livre se divise en trois parties regroupées en 44 poèmes bien que Pessoa ait laissé penser qu’il ne s’agissait que d’un seul poème
  • Le Livre de l’intranquillité : il s’agit d’une des œuvres les plus remarquables de l’auteur. Il traite de questions métaphysiques et de parties profondes de la vie de l’être humain telles que la vie et la mort, le réel et l’irréel, etc. Selon García y Angosto, il s’agit d’un “véritable journal de ses dialogues intérieurs”
  • Le banquier anarchiste : en réalité, ce livre était en principe destiné à être une revue littéraire. Dans cet ouvrage, Pessoa montre son culte du paradoxe comme gymnastique critique. Il aborde la réalité de manière rationnelle et traite de certains aspects de sociologie et de politique
  • Poèmes d’Álvaro de Campos : ce livre est l’expression la plus profonde du sens intime du monde, du mystique et des sentiments
  • Odes à Ricardo Reis : Pessoa explore ici l’existence et le désespoir à travers le flou poétique. Ces textes sont à la fois stoïques et épicuriens

Conclusion

Il existe bien d’autres œuvres inédites puisque la production artistique de Pessoa fut exceptionnellement abondante. Parmi les documents qu’il nous a laissé, on retrouve plusieurs lettres que les spécialistes ont utilisé pour élucider certains aspects de sa personnalité et pour comprendre, dans la mesure du possible, sa relation avec l’écriture.

En définitive, parler de Pessoa, c’est se référer à un auteur unique en son genre. Il s’agit d’un écrivain devenu pluriel de par sa création littéraire. Un porte-drapeau des hétéronymes. Un des auteurs portugais avant-gardistes les plus remarquables. Pour mieux le connaître, il faut se plonger dans ses œuvres. En effet, comme le dit Octavio Paz, grand spécialiste de Fernando Pessoa, “les poètes n’ont pas de biographie, leur œuvre est leur biographie.”

 


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  • Pessoa, F. (1986). Libro del desasosiego de Bernardo Soares. En A. Crespo. Barcelona, España: Seix Barral.

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