Crimson Peak : l'obscurité des passions

Crimson Peak est un film qui réunit d'innombrables éléments configurant la tradition du film d'horreur. Des éléments qui ont leur source dans le roman gothique, dans le romantisme, et qui ont évolué en créant différents espaces lugubres où l'au-delà semble être plus vivant que jamais. Cependant, dans Crimson Peak, l'horreur réside dans les passions humaines.
Crimson Peak : l'obscurité des passions
Leah Padalino

Rédigé et vérifié par critique de cinéma Leah Padalino.

Dernière mise à jour : 27 décembre, 2022

Pour tous ceux qui sont déjà familiarisés avec le cinéma de Guillermo del Toro, il n’y a rien de surprenant à se retrouver devant un film comme Crimson Peak (2015). Le réalisateur y expose clairement ses intentions : la revendication des monstres. Les êtres extraordinaires, les fantômes et les monstres composent la filmographie de ce réalisateur mexicain. Ils ne sont cependant pas présentés comme effrayants ou vengeurs.

L’apparence peut être terrifiante, mais ce n’est rien de plus que cela : une simple apparence. Les véritables monstres cohabitent avec nous au quotidien, ils peuplent les villes et peuvent être parés des plus beaux atours.

Del Toro se nourrit des influences du cinéma de l’horreur et du roman gothique. Mais aussi de ces espaces dont le passé semble ne jamais s’être dissipé. Cependant, il ne s’agit pas d’un film qui cherche à effrayer le spectateur ; du moins, pas à travers le surnaturel.

Les critiques ont été extrêmement variées : certaines pointaient la magie de son atmosphère, d’autres cataloguaient le film de « léger ». Le public n’a pas été aussi bienveillant. Même si le film a été bien noté, il n’a pas réussi à briller complètement.

Le problème a peut-être résidé dans le fait que beaucoup s’attendaient à voir un film sur des manoirs hantés, plein de terreur. Un film qui, en somme, aurait suivi le sillage traditionnel du genre. Or, en réalité, Crimson Peak suit au pied de la lettre tous les conventionnalismes de l’horreur. Tout en les réinventant et en nous apportant un nouveau point de vue.

Ce ne sont pas les fantômes qui font peur, et la terreur ne réside pas dans l’au-delà… La véritable horreur se trouve parmi les vivants, dans les passions plus humaines et effrayantes. Del Toro rejoint la tradition romantique qui consiste à explorer les profondeurs de l’esprit humain. Les secrets et mystères qui enveloppent une société ayant déjà sombré dans la décadence.

Dans un manoir absolument lugubre qui semble être vivant, respirer et même saigner, le cinéaste mexicain imprime son empreinte pour configurer une histoire qui pourrait parfaitement être inspirée d’un roman du romantisme.

Crimson Peak : les passions

L’histoire débute à New-York, à la fin du XIXe siècle. Edith est la jeune fille d’un grand entrepreneur. Ce n’est pas une femme conventionnelle ; elle ne rentre pas dans le moule de son époque.

Edith aspire à devenir écrivaine mais ne souhaite pas écrire de comédies et de drames romantiques liés aux femmes. Elle veut plutôt écrire ces histoires qui l’ont poursuivie depuis son enfance : des histoires de fantômes. Edith a toujours cru aux fantômes. Elle les a même vus et a pu vérifier qu’en réalité, ils n’allaient pas lui faire de mal.

Del Toro a toujours misé sur une forte présence de femmes dans sa filmographie. Il a toujours souhaité les défaire de leurs rôles secondaires, de cette image de « dames en détresse ». Il leur donne de la force, une présence essentielle et il les rend responsables de leurs actes et de leur destinée. Edith fera face à son père lorsqu’elle fera la connaissance de Sir Thomas, un jeune Britannique dont elle tombera amoureuse.

Crimson Peak se moque des conventionnalismes de la haute société du XIX, de la morale de l’époque. Il nous montre une jeune femme que nous pourrions parfaitement voir des années plus tard. Cette description de la haute société, cette critique légère mais efficace, qui s’unit aux rôles du genre et aux mariages de convenance de l’époque, nous rappelle, d’une certaine façon, la littérature de Jane Austen.

La maison familiale

Après la mort de son père, Edith part pour l’Angleterre en compagnie de Sir Thomas, dans la maison familiale de ce dernier, Allerdale Hall. À Allerdale, ils vivront avec Lucille, l’étrange sœur de Sir Thomas. Ces deux personnages se sont promis de rendre la splendeur d’antan au manoir en ruines.

Allerdale Hall avait été, en son temps, un lieu qui brillait de sa propre lumière, un endroit prospère où vivait la famille aisée et aristocratique de Thomas et Lucille. Or, il n’en reste plus désormais qu’une triste façade.

L’intérieur de la maison est absolument glacial. Les ruines ont fait s’écrouler le toit et les courants d’air ressemblent à des murmures de l’au-delà. Cette maison semble vivante, du sang émane de son sol, ses murs respirent. L’argile rouge dont Sir Thomas espère tirer profit teint la neige d’une couleur de sang. Edith devra s’habituer à cette nouvelle vie, à une maison qui semble lui crier de partir, de fuir le plus loin possible.

Crimson Peak : Lucille

Dès le début, nous savons que quelque chose d’étrange se passe avec Lucille et Sir Thomas. L’intrigue ne réside pas dans la quête d’un assassin ou d’un fantôme. Les fantômes apparaissent tout au long du film, ils guident Edith et communiquent avec elle ; l’intrigue réside dans les passions, dans la complexité et l’obscur passé du frère et de la sœur. Pouvoir, ambition, amour, inceste, vie et mort… tout cela ne fait plus qu’un dans Crimson Peak.

Les deux femmes seront les présences les plus puissantes, et surtout Lucille, qui brille grâce à la spectaculaire interprétation de Jessica Chastain. Les métaphores abondent dès le début. Les couleurs prennent ainsi une importance toute particulière, le rouge écarlate de la robe de Lucille contrastant avec la pâleur de celle d’Edith.

Les passions se manifestent à travers cette couleur, le rouge écarlate, la couleur du sang, de l’interdit, de l’érotique. Les tons verts, eux, évoquent l’obscène, le caractère impur du lieu.

Une scène dans Crimson Peak

Violence, amour et sang

L’horreur se fond avec l’amour dans Crimson Peak, rien ne fait plus peur que les passions humaines, rien ne terrorise davantage qu’un fou amoureux et obsessifL’inceste se cache derrière les murs fins d’Allerdale Hall. Le passé a été torturé et ne parvient pas à se détacher de ce lieu ténébreux.

Edith explore les couloirs sans fin, entre dans un ascenseur terrifiant et descend en enfer, là où tout a commencé, où le sang émane des murs.

La construction du film est presque métaphorique. La maison elle-même est un parallélisme de ces passions qui finissent par détruire l’être humain, qui l’emmènent sur le chemin de la violence, de la rage, du désir. Amour, érotisme et violence semblent avancer main dans la main. La trame s’éloigne de la terreur engendrée par les fantômes pour nous les présenter comme des amis, des alliés.

Le romantisme

Ce triangle amoureux et violent composé par les trois protagonistes nous rappelle énormément la littérature du romantisme, mais également les crimes passionnels d’Agatha Christie. L’influence d’Hitchcock est tout aussi palpable, dès les premières minutes du long-métrage.

Nous nous trouvons donc devant un film qui prend toutes les influences du cinéaste, les regroupe et les range pour narrer une histoire de maisons enchantées et de passions destructrices. La violence ne dérange pas : elle est esthétique, le sang se fond dans le neige en créant de la poésie.

Ce n’est probablement pas le meilleur film du réalisateur mexicain et il se trouve très loin derrière d’autres, comme Le labyrinthe de Pan mais Del Toro réussit à faire ce qu’il voulait. Il réussit à faire en sorte que la magie et la fantaisie s’ajustent dans ce film d’horreur gothique.

Dans un monde où nous ne pouvons désormais plus croire aux contes de fées, Crimson Peak nous apporte cette dose de nostalgie, de romantisme. Unie à la nouveauté, à l’actualité, Edith prend les rênes de cette histoire qui, si elle avait été écrite au XIX, aurait été interprétée par un homme.

Del Toro construit un film divertissant et captivant, qui s’appuie sur la tragédie d’un lieu plongé dans une absolue décadence.

 


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