Carnage, une caricature du quotidien
Rédigé et vérifié par le psychologue Sergio De Dios González
Sans quitter le salon et avec seulement quatre acteurs, nous assistons à une magnifique ridiculisation du quotidien. Carnage est une film de Roman Polanski qui, à son tour, est une adaptation de l’oeuvre de théâtre Le Dieu du Carnage de Yasmina Reza.
Il ne fait aucun doute que le casting du film est exceptionnel: Kate Winslet, Jodie Foster, Christoph Waltz et John C. Reilly sont les quatre et uniques acteurs du film. Il s’agit d’un film statique au niveau des espaces, limité en personnages, mais avec un scénario très puissant. Tout le poids du film se base sur l’interprétation des acteurs et son scénario.
“L’origine de la loi, comme vous le savez, est la force brute.”
-Alan Cowan, Carnage–
Carnage, un conflit d’enfants ?
Tout commence après la dispute de deux enfants dans un parc, la seule scène extérieure que nous visualisons. La querelle se termine quand l’un des deux frappe l’autre avec un bâton. Par la suite, nous arrivons dans la maison des Longstreet, la famille de l’enfant qui a été frappé et qui a souffert de problèmes au niveau de la bouche. Les parents des deux enfants se réunissent dans l’appartement pour essayer de chercher une solution au problème.
- Les Cowan : parents de l’enfant “agresseur”, qui forment un couple élégant et distingué. Le père, Allan, est un avocat de renom mais peu scrupuleux. La mère, Nancy, est une investisseuse financière à la moralité douteuse. Tous deux dessinent le prototype de “bonne famille” aisée qui jouit d’une reconnaissance sociale et qui prétend être exemplaire. Cependant, par la suite, nous nous rendons compte de la fausseté et de l’hypocrisie de ces apparences.
- Les Longstreet : parents de l’enfant agressé, ils forment un couple qui prétend être exemplaire, pacifique et capable de résoudre des conflits de manière éduquée. Michael, le père, semble être un homme tranquille, simple, plein de bonnes intentions, qui essayera d’apaiser les tensions; de l’autre côté, Pénélope, la mère, est une écrivaine et pacifiste convaincue, même si nous notons dès le début une certaine hostilité de sa part envers ses “invités”.
Tout au long du film, les personnages quittent petit à petit leurs masques et passent du politiquement correct à l’agressivité. Même Michael, qui semblait être le pacificateur, affichera un côté obscur et plein de rancœur. La conversation se transformera en une véritable boucherie verbale, au cours de laquelle les couteaux voleront dans toutes les directions possibles. Ce qui, au début, ne devait être qu’une résolution de conflit et un exemple pour leurs enfants devient une authentique jungle dans laquelle chacun des personnages laisse apparaître sa vraie nature.
Les arguments et la cohérence disparaîtront peu à peu, l’agressivité augmentera et le ton montera. Les personnages, quant à eux, perdront complètement leur sang-froid et montreront leur version la plus sombre. En ayant même recours à la moquerie, à l’imitation malintentionnée de leurs interlocuteurs ; la situation, apparemment sérieuse, se transformera en une discussion absurde qui frise l’infantilisme.
Carnage et l’égocentrisme
Dans Carnage, les pulsions les plus primitives de l’être humain sont explorées. Son côté le plus viscéral et le plus sombre apparaît au grand jour, dans un espace presque claustrophobique, car toutes les tentatives des Cowan pour sortir de l’appartement seront frustrées par une nouvelle dispute.
Les disputes génèrent parfois une boucle ; elles nous plongent dans une impasse dont il est difficile de sortir et, au moment où elles semblent se résoudre, un autre argument nous prend au piège et nous oblige à replonger dans le conflit. C’est ainsi que les personnages semblent résoudre les conflits dans le film, emprisonnés entre les quatre murs d’un salon dont ils savent qu’ils n’échapperont pas. Au moment où ils s’approchent de l’ascenseur, au moment où tout semble être fini, ils retombent dans une nouvelle discussion et se retrouvent piégés dans le salon.
Les conflits se dispersent tellement que ce qui était au début une simple guerre entre deux familles finit par devenir une dispute entre femmes et hommes pour, finalement, déboucher sur une guerre totalement individualiste. Chaque personnage se défendra individuellement. L’obstination humaine sera poussée à l’extrême. Tous veulent avoir raison et tous pensent que si le monde était comme eux, il irait beaucoup mieux.
Carnage présente une caricature de la nature humaine. Nous y voyons des personnages qui utilisent de nombreux mécanismes de défense, extrêmement primaires et basiques, qui perdent leur sang-froid et n’ont aucun problème au moment de trahir l’autre.
Chacun d’eux a construit une image personnelle qu’il souhaite projeter et, quand celle-ci s’affaiblit, ils tombent dans l’agressivité car ils ne peuvent pas laisser leur ego se sentir attaqué.
La critique de la société
En sortant des conventions sociales, en montrant leur véritable caractère, nous voyons la réalité derrière le masque, nous voyons l’hypocrisie et le manque de morale de notre monde. Polanski apporte un air pessimiste à notre quotidien car les personnages ne nous semblent pas étrangers et il est facile de s’identifier à l’un d’eux ou d’identifier des personnes de notre entourage.
L’argent et l’importance du statut seront critiqués dans le film, surtout à travers le personnage d’Alan Cowan qui est plus préoccupé par son travail que par ses propres relations personnelles; c’est à peine s’il est intéressé par l’éducation de son fils et nous le voyons comme un personnage immoral quand nous découvrons que son travail consiste à défendre une compagnie pharmaceutique dont les médicaments causent de sérieux problèmes de santé. Par ailleurs, il vit en continu avec son téléphone portable pour régler des affaires de travail, ce qui lui permet constamment de s’évader de la conversation et constituera un détonateur de conflit supplémentaire puisque cela empêche la communication entre les deux familles.
Pénélope sera le personnage qui contraste le plus avec celui d’Alan car elle semble très dévouée aux causes humanitaires et s’intéresse aux problèmes du tiers-monde; cependant, elle n’est pas sortie de la caverne et croit tout ce qu’elle voit car elle ignore les intérêts réels qui se cachent derrière l’aide occidentale apportée au Soudan.
On remet en question la surprotection qui est faite envers les enfants, les empêchant de résoudre les conflits par eux-mêmes, en culpabilisant excessivement certains enfants et en en victimisant d’autres… alors qu’en réalité, il existe beaucoup de nuances. On se moque aussi de l’importance accordée aux choses matérielles dans notre société, comme avec la scène du vomi sur les livres d’art ou la destruction du téléphone.
Cette situation chaotique et sans le moindre sens, finalement, n’arrive nulle part. Le meilleur étant qu’à la fin, les enfants donneront eux-mêmes une leçon à leurs parents à travers une brève scène dans le parc où tout a commencé: les enfants semblent avoir laissé leurs différents derrière eux. Cela nous fait réfléchir et nous fait penser que nous nous compliquons peut-être trop la vie. Tout pourrait se réduire à une simple discussion entre enfants qui finissent par se serrer la main.
Critique, comédie et réalisme vont de pair dans ce film qui nous montre une situation du quotidien, qui va au-delà des faux sourires et nous montre l’être humain comme un animal en cage qui, en brisant les barrières, n’est rien de plus qu’un être violent et égoïste. Carnage est une oeuvre d’art qui caricature notre société actuelle et dans laquelle la stupidité humaine sera l’une des clés.
“Je crois au dieu du carnage. C’est le seul qui gouverne, sans partage, depuis la nuit des temps.”
-Yasmina Reza-
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