Pour certaines mères, leurs filles seront éternellement petites

Dernière mise à jour : 28 avril, 2017

Les processus de séparation entre mères et filles sont influencés d’une manière très négative par la culture patriarcale ; c’est comme si l’influence de ladite culture motivait toutes les femmes à alimenter un désir. Celui qu’un jour, leur mère leur dise quelque chose comme : “Va-t’en. Déploie tes ailes et apprend à être toi-même.” Or, face à l’aspect commun de ce désir, cela arrive rarement : surtout dans les sociétés machistes telles que les nôtres.

Le plus souvent, c’est tout le contraire. Loin de permettre à leurs filles de penser et de vivre par elles-mêmes comme elles l’entendent, beaucoup de mères cherchent à les retenir et garder le contrôle sur elles. Généralement, elles se victimisent et/ou inspirent la peur. Face au moindre soupçon de désir d’autonomie, qui contredit la vision qu’elles ont de la vie, elles disent généralement : “Nourris des corbeaux et ils te crèveront les yeux”.


“Quand nous sommes-nous séparé-e-s ? Etait-ce hier dans la nuit ? Ou était-ce la veille ? Quoi qu’il en soit, peu importe. Hier, le jour d’avant, il y a des années, c’est toujours la même histoire.”

– Ngugi wa Thiong’o –


Ce qui est certain, c’est que pour une femme, la rupture avec sa mère peut devenir un conflit profond. De nombreuses femmes se sentent coincées et face un difficile dilemme ; elles aiment leur mère et veulent la rendre heureuse, mais en même temps, elles savent qu’elles ont besoin d’établir une rupture avec ce lien afin de pouvoir trouver leur propre chemin.

La mère qui aime sa petite fille

La plupart des mères construisent un ordre qu’elles communiquent à leurs filles bien souvent inconsciemment : “reste petite si tu ne veux pas me voir souffrir”. Mais en plus, cet ordre renferme en lui-même une menace terrible : “reste petite si tu veux que je puisse continuer à t’aimer”.

Les mères éduquées dans les cultures machistes souhaitent plus que tout que leur fille reste petite. Leur fille, c’est comme une prolongation d’elles-mêmes, plus en tout cas qu’une individu à part entière étant en droit de réclamer l’autonomie et de l’atteindre. Si sa fille reste petite tout en grandissant et en prenant de l’âge, alors la mère n’a pas de raisons de remettre en question le fait que peut-être elle inflige des blessures à sa fille qu’elle et elle seule sera en mesure de guérir.

Le désir d’indépendance d’une fille peut être vécu par la mère comme une forte menace ou un grand affront. C’est pourquoi sur ce point, certaines mères sont capables de rejeter, voire même d’abandonner leur fille si elle résiste à rester petite. La fille, à son tour, devra traverser une tourmente intérieure avant d’atteindre la rive opposée.

Le deuil qui naît de la rupture avec la mère

La tentation de rester la petite fille de sa maman est très forte. A un moment ou un autre de leur vie, beaucoup de femmes doivent faire un choix : soit être pleinement aimées et protégés par leur mère, renonçant donc à leur autonomie, soit rompre avec la lignée maternelle afin de trouver leur propre chemin, générant ainsi une grande souffrance, voire une vive colère chez leur mère, ainsi qu’un sentiment de culpabilité et d’abandon.

Il ne s’agit pas d’un conflit mineur ; de fait, c’est un des moments les plus difficiles de la vie. Paradoxalement, si tout se passe bien, ce qui suit est un profond deuil. Ce symbole de la mère inconditionnelle se perd à jamais, avec un amour à toute épreuve, et on racontera à jamais les désirs de cette mère qui voit l’indépendance de sa fille comme une blessure dans son coeur.

Toute femme qui décide d’établir une rupture avec les désirs de sa mère devra pleurer cette mère qui ne sera plus là. Cependant, à la fin de ce processus, elle aura alors atteint une des plus grandes réussites de sa vie : la prise de contrôle d’elle-même et de sa vie. Car, il faut le dire, quand une femme vit dans l’ombre de sa mère, elle doit subir, dans une plus ou moins grande mesure, un certain degré d’insignifiance.

Rompre avec le modèle féminin imposé par la mère

Beaucoup de femmes ont été éduquées pour prendre en charge le bien-être émotionnel de tou-te-s celleux qui les entourent. Elles vont même jusqu’à s’inventer des théories pour justifier ce rôle imposé par le patriarcat. On met en avant, par exemple, le fait que la femme est maternelle par instinct et que, pour cela même, naturellement, elle a tendance à protéger les autres, à prendre soin d’elleux et à s’en occuper.

C’est la raison pour laquelle une armée de femmes se sent responsable des manques ou de la souffrance des autres. En commençant, bien sûr, par ceux de leur propre mère. Rompre avec ce rôle imposé par le machisme suppose un processus empli de doutes et de mal-être. Vous vous sentirez coupable à chaque fois que vous ne laisserez pas de côté vos propres désirs pour vous occuper des besoins des autres. Les mères qui n’ont pas atteint leur propre autonomie veulent que leurs filles soient de “bonnes filles” et seront très déçues si elles agissent en faisant de leurs propres désirs une priorité.

Pour qu’une femme puisse savoir qui elle est vraiment, pour qu’elle puisse prendre le contrôle sur sa vie, elle doit rompre avec ces stéréotypes qui, souvent, sont reflétés et défendus par leur propre mère. Et même si cela implique une distanciation initiale avec elle, il vaut la peine d’aller au bout de ce processus.

Finalement, il est probable que la mère parvienne à assimiler les faits et à adopter une attitude saine face à l’autonomie de sa fille adorée. Si ce n’est pas le cas, il est possible qu’elle finisse simplement par accepter les faits. Dans les deux cas, le lien changera pour se faire meilleur : plein de gratitude, avec un plus grand respect et sans attaches obsessionnelles.

 

Images de Brian Kershisnik


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